La dame de Monsoreau, vol 2 | Page 6

Alexandre Dumas, père
et tu trouveras.
Gorenflot, en songeant qu'il allait être obligé de chercher au loin, se
sentait las avant de commencer.
Cependant le principal était de se soustraire d'abord au danger qui le
menaçait, danger inconnu, mais pressant, d'après ce qui avait paru
ressortir du moins des paroles du prieur. Le pauvre moine n'était pas de
ceux qui peuvent déguiser leur physique et échapper aux investigations
par quelque habile métamorphose; il résolut donc de gagner au large

d'abord, et, dans cette résolution, franchit d'un pas assez rapide la porte
Bordelle, dépassa prudemment, et en se faisant le plus mince possible,
la guérite des veilleurs de nuit et le poste des Suisses, dans la crainte
que ces archers, dont l'abbé de Sainte-Geneviève lui avait fait fête, ne
fussent des réalités trop saisissantes.
Mais, une fois en plein air, une fois en rase campagne, lorsqu'il fut à
cinq cents pas de la porte de la ville; lorsqu'il vit, sur le revers du fossé,
disposée en manière de fauteuil, cette première herbe du printemps qui
s'efforce de percer la terre déjà verdoyante; lorsqu'il vit le soleil joyeux
à l'horizon, la solitude à droite et à gauche, la ville murmurante derrière
lui, il s'assit sur le talus de la route, emboîta son double menton dans sa
large et grasse main, se gratta de l'index le bout carré d'un nez de dogue,
et commença une rêverie accompagnée de gémissements.
Sauf la cythare qui lui manquait, frère Gorenflot ne ressemblait pas mal
à l'un de ces Hébreux qui, suspendant leur harpe au saule, fournissaient,
au temps de la désolation de Jérusalem, le texte du fameux verset:
Super flumina Babylonis, et le sujet d'une myriade de tableaux
mélancoliques.
Gorenflot gémissait d'autant plus, que neuf heures approchaient, heure
à laquelle on dînait au couvent, car les moines, en arrière de la
civilisation, comme il convient à des gens détachés du monde, suivaient
encore, en l'an de grâce 1578, les pratiques du bon roi Charles V, lequel
dînait à huit heures du matin, après sa messe.
Autant vaudrait compter les grains de sable soulevés par le vent au bord
de la mer pendant un jour de tempête que d'énumérer les idées
contradictoires qui vinrent, l'une après l'autre, éclore dans le cerveau de
Gorenflot à jeun.
La première idée, celle dont il eut le plus de peine à se débarrasser,
nous devons le dire, fut de rentrer dans Paris, d'aller droit au couvent,
de déclarer à l'abbé que bien décidément il préférait le cachot à l'exil,
de consentir même, s'il le fallait, à subir la discipline, le fouet, le double
fouet et l'in pace, pourvu que l'on jurât sur l'honneur de s'occuper de ses
repas, qu'il consentirait même à réduire à cinq par jour.
A cette idée, si tenace, qu'elle laboura pendant plus d'un grand quart
d'heure le cerveau du pauvre moine, en succéda une autre un peu plus
raisonnable: c'était d'aller droit à la Corne d'Abondance, d'y mander
Chicot, si toutefois il ne le retrouvait pas endormi encore, de lui

exposer la situation déplorable dans laquelle il se trouvait à la suite de
ses suggestions bachiques, suggestions auxquelles lui, Gorenflot, avait
eu la faiblesse de céder, et d'obtenir de ce généreux ami une pension
alimentaire.
Ce plan arrêta Gorenflot un autre quart d'heure, car c'était un esprit
judicieux, et l'idée n'était pas sans mérite.
C'était enfin, autre idée qui ne manquait pas d'une certaine audace, de
tourner autour des murs de la capitale, de rentrer par la porte
Saint-Germain ou par la tour de Nesle, et de continuer clandestinement
ses quêtes dans Paris. Il connaissait les bons endroits, les coins fertiles,
les petites rues où certaines commères, élevant de succulentes volailles,
avaient toujours quelque chapon mort de gras fondu à jeter dans le sac
du quêteur, il voyait, dans le miroir reconnaissant de ses souvenirs,
certaine maison à perron où l'été se fabriquaient des conserves de tous
genres, et cela dans le but principal, du moins frère Gorenflot aimait à
se l'imaginer ainsi, de jeter au sac du frère quêteur, en échange de sa
fraternelle bénédiction, tantôt un quartier de gelée de coings séchés,
tantôt une douzaine de noix confites, et tantôt une boîte de pommes
tapées, dont l'odeur seule eût fait boire un moribond. Car, il faut le dire,
les idées de frère Gorenflot étaient surtout tournées vers les plaisirs de
la table et les douceurs du repos; de sorte qu'il pensait parfois, non sans
une certaine inquiétude, à ces deux avocats du diable qui, au jour du
jugement dernier, plaideraient contre lui, et qu'on appelait la Paresse et
la Gourmandise. Mais, en attendant, nous devons le dire, le digne
moine suivait, non sans remords peut-être, mais enfin suivait la pente
fleurie qui mène à l'abîme au fond duquel hurlent incessamment,
comme Charybde et Scylla, ces deux péchés mortels.
Aussi ce
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