La dame de Monsoreau, vol 2 | Page 7

Alexandre Dumas, père
dernier plan lui souriait-il; aussi ce genre de vie lui
paraissait-il celui auquel il était naturellement destiné; mais, pour
accomplir ce plan, pour suivre ce genre de vie, il fallait rester dans
Paris, et risquer de rencontrer à chaque pas les archers, les sergents, les
autorités ecclésiastiques, troupeau dangereux pour un moine vagabond.
Et puis un autre inconvénient se présentait: le trésorier du couvent de
Sainte-Geneviève était un administrateur trop soigneux pour laisser
Paris sans frère quêteur; Gorenflot courait donc le risque de se trouver
face à face avec un collègue qui aurait sur lui cette incontestable
supériorité d'être dans l'exercice légitime de ses fonctions.

Cette idée fit frémir Gorenflot, et certes il y avait bien de quoi.
Il en était là de ses monologues et de ses appréhensions quand il vit
poindre au loin sous la porte Bordelle un cavalier qui bientôt ébranla la
voûte sous le galop de sa monture.
Cet homme mit pied à terre près d'une maison située à cent pas à peu
près de l'endroit où était assis Gorenflot; il frappa: on lui ouvrit, et
cheval et cavalier disparurent dans la maison.
Gorenflot remarqua cette circonstance, parce qu'il avait envié le
bonheur de ce cavalier qui avait un cheval et qui par conséquent
pouvait le vendre.
Mais, au bout d'un instant, le cavalier, Gorenflot le reconnut à son
manteau, le cavalier, disons-nous, sortit de la maison, et, comme il y
avait un massif d'arbres à quelque distance et devant le massif un gros
tas de pierres, il alla se blottir entre les arbres et ce bastion d'une
nouvelle espèce.
--Voilà bien certainement quelque guet-apens qui se prépare, murmura
Gorenflot. Si j'étais moins suspect aux archers, j'irais les prévenir, ou, si
j'étais plus brave, je m'y opposerais.
A ce moment, l'homme qui se tenait en embuscade et dont les yeux ne
quittaient la porte de la ville que pour inspecter les environs avec une
certaine inquiétude, aperçut, dans un des regards rapides qu'il jetait à
droite et à gauche, Gorenflot, toujours assis et tenant toujours son
menton. Cette vue le gêna; il feignit de se promener d'un air indifférent
derrière les moellons.
--Voilà une tournure, dit Gorenflot, voilà une taille... on dirait que je
connais cela...; mais non, c'est impossible.
En ce moment, l'inconnu, qui tournait le dos à Gorenflot, s'affaissa tout
à coup comme si les muscles de ses jambes eussent manqué sous lui. Il
venait d'entendre certain bruit de fers de chevaux qui venaient de la
porte de la ville.
En effet, trois hommes, dont deux semblaient des laquais, trois bonnes
mules et trois gros porte-manteaux venaient lentement de Paris par la
porte Bordelle. Aussitôt qu'il les eut aperçus, l'homme aux moellons se
fit plus petit encore, si c'était possible; et, rampant plutôt qu'il ne
marchait, il gagna le groupe d'arbres, et, choisissant le plus gros, il se
blottit derrière, dans la posture d'un chasseur à l'affût.
La cavalcade passa sans le voir, ou du moins sans le remarquer, tandis

qu'au contraire l'homme embusqué semblait la dévorer des yeux.
--C'est moi qui ai empêché le crime de se commettre, se dit Gorenflot,
et ma présence sur le chemin, juste en ce moment, est une de ces
manifestations de la volonté divine, comme il m'en faudrait une autre à
moi pour me faire déjeuner.
La cavalcade passée, le guetteur rentra dans la maison.
--Bon! dit Gorenflot, voilà une circonstance qui va me procurer, ou je
me trompe fort, l'aubaine que je désirais. Homme qui guette n'aime pas
être vu. C'est un secret que je possède, et, ne valût-il que six deniers, eh
bien, je le mettrai à prix.
Et, sans tarder, Gorenflot se dirigea vers la maison; mais, à mesure qu'il
approchait, il se remémorait la tournure martiale du cavalier, la longue
rapière qui battait ses mollets, et l'oeil terrible avec lequel il avait
regardé passer la cavalcade; puis il se disait:
--Je crois décidément que j'avais tort et qu'un pareil homme ne se
laisserait point intimider.
A la porte, Gorenflot était tout à fait convaincu, et ce n'était plus le nez
qu'il se grattait, mais l'oreille.
Tout à coup, sa figure s'illumina:
--Une idée, dit-il.
C'était un tel progrès que l'éveil d'une idée dans le cerveau endormi du
moine, qu'il s'étonna lui-même que cette idée fût venue; mais, on le
disait déjà en ce temps-là, nécessité est mère de l'industrie.
--Une idée, répéta-t-il, et une idée un peu ingénieuse! Je lui dirai:
«Monsieur, tout homme a ses projets, ses désirs, ses espérances; je
prierai pour vos projets, donnez-moi quelque chose.» Si ses projets sont
mauvais, comme je n'en ai aucun doute, il aura un double besoin que
l'on prie pour lui, et, dans ce but, il me fera quelque aumône. Et moi, je
soumettrai le cas au premier docteur que je rencontrerai. C'est à savoir
si
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