Aux premiers cris d'alarme, tous les gens des environs étaient accourus, et il en arrivait encore à chaque minute, mais personne ne se trouvait là pour diriger.
Le sauvetage du mobilier surtout les préoccupait. Les plus hardis tenaient bon dans les appartements et, en proie à une sorte de vertige, jetaient par les fenêtres tout ce qui leur tombait sous la main. Et dans le milieu de la cour, s'amoncelaient pêle-mêle les lits, les matelas, les chaises, le linge, les livres, les vêtements...
Cependant une immense clameur salua l'arrivée de M. Séneschal et de ses compagnons.
--Voilà monsieur le maire! s'écriaient les paysans, rassurés par sa seule présence et prêts à lui obéir.
M. Séneschal, du reste, jugea bien d'un coup d'oeil la situation.
--Oui, c'est moi, mes amis, dit-il, et je vous félicite de votre empressement, il s'agit, à cette heure, de ne pas gaspiller nos forces. La ferme, les chais et les batiments d'exploitation sont perdus, abandonnons-les. Concentrons nos efforts sur le chateau... Organisons-nous! La rivière est tout proche, formons la cha?ne. Tout le monde à la cha?ne, hommes et femmes!... Et de l'eau, de l'eau... voilà les pompes.
On les entendait, en effet, rouler comme un tonnerre. Les pompiers parurent. Le capitaine Parenteau prit la direction des secours. Et, enfin, M. Séneschal put s'informer du comte de Claudieuse.
--Le ma?tre est là, lui répondit une vieille femme en montrant, à cent pas, une maisonnette à toit de chaume, c'est le médecin qui l'y a fait transporter.
--Allons le voir, messieurs, dit vivement le maire au procureur de la République et au juge d'instruction.
Mais ils s'arrêtèrent au seuil de l'unique pièce de cette pauvre demeure. C'était une grande chambre, au sol de terre battue, aux solives noircies et toutes chargées d'outils et de paquets de graines. Deux lits à colonnes torses et à rideaux de serge jaunatre, deux bons grands lits de Saintonge, occupaient tout le fond. Sur celui de gauche, une petite fille de quatre à cinq ans dormait, roulée dans une couverture, sous la garde de sa soeur, de deux ou trois ans plus agée. Sur le lit de droite, le comte de Claudieuse était étendu, ou plut?t assis, car on avait entassé sous ses reins tout ce qu'on avait pu arracher d'oreillers à l'incendie.
Il avait le torse nu et ruisselant de sang, et un homme, le docteur Seignebos, en bras de chemise et les manches retroussées jusqu'au coude, s'inclinait vers lui et, une éponge d'une main, un bistouri de l'autre, semblait absorbé par quelque grave et délicate opération. Vêtue d'une robe de mousseline claire, la comtesse de Claudieuse était debout au pied du lit de son mari, pale, mais sublime de calme et de fermeté résignée. Elle tenait une lampe et en dirigeait la lumière selon les indications du docteur. Dans un coin, deux servantes étaient assises sur un coffre et, leur tablier relevé sur la tête, pleuraient.
Singulièrement ému, le maire de Sauveterre prit enfin sur lui d'entrer. Ce fut le comte de Claudieuse qui le premier l'aper?ut:
--Eh! c'est ce brave Séneschal! dit-il. Approchez, cher ami, approchez!... L'année 1871, vous le voyez, est une année fatale. De tout ce que je possédais, il ne restera plus, au jour, que quelques pelletées de cendres...
--C'est un grand malheur, répondit le digne maire, mais nous en avons craint un bien plus irréparable... Dieu merci, vous vivrez...
--Qui sait! Je souffre terriblement... Mme de Claudieuse tressaillit.
--Trivulce! murmura-t-elle d'une voix doucement suppliante, Trivulce!
Jamais amant n'arrêta sur l'amie de son ame un regard plus tendre que celui dont M. de Claudieuse enveloppa sa femme.
--Pardonne-moi, chère Geneviève, pardonne-moi mon manque de courage...
Un spasme nerveux lui coupa la parole, et tout aussit?t, d'une voix éclatante comme une trompette:
--Monsieur! s'écria-t-il, docteur! Tonnerre du ciel!... Vous m'écorchez!
--J'ai là du chloroforme, pronon?a froidement le médecin.
--Je n'en veux pas!
--Résignez-vous alors à souffrir... Et tenez-vous tranquille, car chacun de vos mouvements augmente la souffrance. (Sur quoi, épongeant un filet de sang qui venait de jaillir sous son bistouri:) Du reste, ajouta-t-il, nous allons prendre quelques minutes de repos. Mes yeux et ma main se fatiguent... Je ne suis plus jeune, décidément.
Le docteur Seignebos avait soixante ans. C'était un petit homme au teint bilieux, maigre, chauve, d'une tenue plus que négligée, et porteur d'une paire de lunettes d'or qu'il passait sa vie à retirer, à essuyer et à remettre.
Sa réputation médicale était grande, on citait de lui, à Sauveterre, des cures merveilleuses; cependant il n'avait que peu d'amis. Les ouvriers lui reprochaient sa morgue dédaigneuse, les paysans son apreté au gain, et les bourgeois ses opinions politiques.
On rapporte qu'un soir, dans un banquet, il s'était écrié en levant son verre: ?Je bois à la mémoire du seul médecin dont j'envie la pure et noble gloire: à la mémoire de mon compatriote le docteur Guillotin, de Saintes!? Avait-il vraiment porté ce toast? Le positif, c'est qu'il se posait en
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.