La conquête dune cuisinière I | Page 7

Eugène Chavette
de...
Au moment de prononcer le nom de la personne qui excellait dans la confection du canard à l'andalouse, le jeune docteur s'arrêta et, bien vite, rempla?a le nom par cette conclusion:
--Bref, avec un bon estomac, la vie sera encore pleine de charmes pour vous.
Ainsi doucement poussé vers la voie qui lui restait à suivre, Fraimoulu se montra reconnaissant:
--Aussi, dit-il, j'espère que, dès aujourd'hui, vous me permettrez de vous compter au nombre de mes convives futurs.
--Nous répondrons à votre premier appel, promit Cabillaud père qui, pour un bon repas, aurait refusé d'être cité dans les journaux comme étant mort victime du devoir, par un temps d'épidémie.
--Appel que je vous adresserai aussit?t que j'aurai trouvé un bon cordon bleu, acheva Fraimoulu.
A ces mots, Cabillaud avan?a les lèvres en moue, secoua la tête d'un air de doute et pronon?a:
--Trouver un bon cordon bleu! voilà le hic... ?a n'est pas facile!!!
Athanase eut la même réponse qu'il avait faite à son neveu, quand ce dernier, lui aussi, avait émis le doute qu'une bonne cuisinière f?t d'une découverte facile.
--En y mettant le prix, on y arrive.
Mais cette réponse parut peu rassurer le docteur à la verrue qui s'adressant à son fils:
--Chez qui pourrions-nous bien, dans nos connaissances, débaucher une bonne cuisinière pour monsieur?
Il se consulta:
--Parbleu! ajouta-t-il, chez le bon Camuflet qui en possède trois.
--Trois!!! Ce monsieur a donc une bien nombreuse famille à nourrir! s'exclama Athanase.
--Non, il est tout seul et ne mange, jamais qu'au restaurant.
Fraimoulu avait belle occasion de s'étonner encore sur le compte de ce M. Camuflet, mais il en fut détourné par un souvenir qui lui traversa l'esprit.
--Ne vous donnez pas tant de peine pour moi, dit-il, car, au nombre de mes amis, je compte un homme qui me choisira ce phénix de main de ma?tre.
Devant cette assurance, les deux docteurs s'inclinèrent, et, après avoir insisté inutilement pour qu'il restat à d?ner, afin d'apprécier le poulet à la thurgovienne et le soufflé d'andouilles de leur cuisinière Clarisse, ils le laissèrent partir.
En sortant de la maison, Fraimoulu alla se jeter en fou sur un monsieur qui, la bedaine tendue, le nez en l'air, passait tout mélancolique.
--Ah! mon brave Ducanif, c'est le ciel qui t'envoie! s'écria-t-il en reconnaissant le monsieur qu'il avait failli renverser.

III
M. Ducanif, qui frisait la cinquantaine, était un petit homme grassouillet, rougeaud à lunettes en or.
Du moment que quelqu'un vous aborde en s'écriant: ?C'est Dieu qui t'envoie!? il y a toujours gros à parier que ce quelqu'un doit avoir quelque chose, voire un service, à vous demander. Or Ducanif, qui était d'avis que tout ici-bas se paye, prit la balle au bond et, comme c'était à l'approche de l'heure du d?ner, répliqua par cette demande:
--Offres-tu un verre de vermouth? Nous causerons plus à l'aise, assis dans un café.
--Dix verres de vermouth, s'ils te sont agréables! s'écria Fraimoulu en lui montrant les tables de la devanture d'un café situé à dix pas d'eux.
--Je t'écoute, débuta Ducanif aussit?t que les deux consommations leur eurent été servies.
--Mon vieux camarade, il me faut une bonne cuisinière... Bonne n'est pas assez; une excellente... ou plut?t un cordon bleu de premier mérite... Bref, une artiste hors ligne!!! Je paierai, sans barguigner, les appointements qu'on exigera.
A mesure qu'Athanase avait formulé son désir, Ducanif avait écouté d'un air ahuri, et lorsque son ami eut cessé de parler, il demanda sur le ton du plus profond étonnement:
--Pourquoi diable t'adresses-tu à moi pour te procurer une bonne cuisinière?
Ce fut au tour de Fraimoulu d'avoir la voix prodigieusement étonnée quand il répondit:
--A qui, pour avoir un cordon bleu, puis-je mieux m'adresser qu'à toi?
--Parce que?
--Mais, dame! parce que, dans Paris, tu tiens le plus achalandé de tous les bureaux de placement de domestiques des deux sexes.
--Bureau où j'ai déjà gagné plus de trente mille livres de rente, appuya complaisamment Ducanif.
Puis, revenant à la question.
--En quoi cela concerne-t-il ta demande? reprit-il en ayant l'air de chercher une concordance.
--Ah ?a! fit Athanase dérouté, est-ce que, parmi les domestiques des deux sexes que tu places, tu ne comprends pas les cuisinières?
--Si bien, au contraire, mon vieux. Bon an, mal an, j'en place environ deux mille... Ah! fichtre! les cuisinières, c'est le meilleur article de mon métier!... De mes trente mille livres de rente, j'en dois les trois quarts aux cuisinières!
--Et, sur ces deux mille cuisinières, tu ne peux m'en fournir une?
--Ah! distinguons! Tu m'en demandes une bonne, toi!... Oui, j'en place deux mille par an, mais des mauvaises, rien que des mauvaises, des archi-mauvaises! Avec des bonnes, il n'y a pas d'eau à boire. Il y a belle lurette que j'aurais fermé boutique si je m'étais bêtement mis à placer de bonnes cuisinières.
Et comme Fraimoulu ouvrait les yeux hébétés de l'homme qui ne comprend pas:
--Ecoute bien et suis mon raisonnement, reprit-il.
Ensuite, se rengorgeant superbe:
--Moi, poursuivit-il, je ne procède pas comme mes confrères... c'est-à-dire na?vement. Je traite la
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