que tout ce qui venait d'être dit entre les deux femmes demeurait inintelligible
pour Fraimoulu aux écoutes, il lui était impossible, même avec la clef du mystère, d'y
comprendre goutte, car, tout le temps, il avait été distrait par la question qui se dressait en
son cerveau.
--Où donc ai-je déjà rencontré cette remarquable bacchante?
Et, avec l'espoir que sa mémoire s'éclaircirait par une nouvelle contemplation du visage
de ladite bacchante, Athanase se retourna.
Alors Pistache le reconnut.
Sans doute que c'était conviction intime chez Pistache que l'agréable doit toujours céder
le pas à l'utile. Si grand plaisir qu'elle trouvât aux confidences de son amie, elle rompit
l'entretien par une courte phrase, à voix basse, qui, malgré son laconisme, devait désigner
Fraimoulu, car la femme au panier, après un court regard sur Athanase, prit congé de sa
camarade par cette simple phrase:
--Alors, bonne chance.
Puis, en même temps que Pistache s'éloignait, elle continua sa route en sens inverse, se
croisant avec Fraimoulu qu'elle toisa, au passage, d'un second regard.
--Quels yeux! de vrais diamants! pensa Athanase en se remettant en marche sur la piste
de Pistache.
Mais dans l'estimation amoureuse de celui qui la suivait, l'aimable fille, dont le mollet,
pourtant, se montrait découvert de dix centimètres plus haut, avait perdu soixante-quinze
pour cent.
Tout enthousiasmé par sa rencontre avec la femme au panier, Fraimoulu, en suivant
Pistache, ne marchait plus poussé par l'unique désir de s'entendre appeler «mon petit
Nanase» par la nymphe qui le précédait.
--Il faudra qu'elle m'apprenne le nom de cette épatante Erigone... A coup sûr, un mot de
Pistache me rappellera où je l'ai vue... car, c'est certain, je me suis déjà rencontré avec
cette splendidissime créature... oui, splendidissime, je maintiens le mot, faute d'en trouver
un plus fort, se disait-il, en proie à un frisson qui lui montait le long de la colonne
vertébrale.
Mademoiselle Pistache tourna dans la rue Rougemont après un imperceptible mouvement
de tête qui lui fit voir Athanase toujours sur la piste.
A son tour, celui-ci doubla l'angle en maintenant une distance de vingt pas entre lui et
celle que, naguère encore, il appelait sa proie.
Arrivée devant sa porte, mademoiselle Pistache, avant de pénétrer sous la voûte, crut
devoir adresser à son poursuivant le plus aimable sourire.
Vingt pas, nous l'avons dit, séparaient Fraimoulu de la porte où venait d'entrer la belle.
Sur ces vingt pas, notre héros en fit cinq, puis, tout à coup, il s'arrêta, la figure convulsée
par l'effroi, l'oeil hagard, les pieds comme cloués sur le trottoir.
--Sacrebleu! sacrebleu! sacrebleu! murmura-t-il d'une voix saccadée par une vive et
désagréable émotion.
Néanmoins, après une minute d'attente, il se remit et voulut continuer sa marche.
Mais, à son huitième pas, à cinq mètres tout au plus de la porte de Pistache, il s'arrêta plus
brusquement que la première fois.
--Encore!!! bégaya-t-il d'un ton désespéré.
Et comme, à ce moment, Pistache, inquiète du retard de celui qu'elle comptait voir arriver
sur ses talons, montrait sa tête à une fenêtre de l'entresol, il se produisit un fait
extraordinaire.
Ce grand suiveur de femmes, cet adorateur des belles, ce fanatique du beau sexe montra
le poing à Pistache en grondant avec fureur:
--Va-t'en au diable! satanée femelle! Engeance maudite!
Et, tournant le dos, il remonta la rue.
Était-il bien possible que, pour Fraimoulu, le sexe charmant fût subitement devenu une
engeance maudite? Quelle cause terrible avait motivé l'effroi et la colère du galant
chevalier des belles au point de lui faire renier sa devise: «Tout pour les dames»? Ce
devrait être, tout à la fois, bien sérieux et bien désespérant, car lui qui, naguère, arpentait
le trottoir d'une allure si délibérée, s'en allait maintenant, d'un pas mou, en murmurant
tout navré:
--Toisé! fini!! ratiboisé!!!
Cette marche ne le conduisit pas loin. Dès qu'il eut tourné sur le boulevard, il pénétra
dans la première maison d'angle, monta deux étages et sonna à une porte sur laquelle se
voyait une plaque portant ces mots: _Cabillaud, docteur-médecin_.
A son coup de sonnette vint ouvrir une sémillante blonde d'une vingtaine d'années, à
l'oeil gai, au nez en trompette et qu'à son tablier blanc, maculé de quelques gouttes de
sang qui devait être celui d'une volaille, il était facile de reconnaître pour la cuisinière de
céans.
Vingt minutes auparavant, Athanase serait tombé en arrêt devant cette accorte fille. Il n'y
fit pas plus attention qu'un chien mis en présence d'une toile de Raphaël et demanda,
d'une voix anxieuse de recevoir une réponse négative:
--M. Cabillaud est-il chez lui?
--Lequel? Ils sont deux, dit la cuisinière.
--Le médecin.
--Tous deux sont médecins.
--Celui qui a une verrue sur le nez.
--Ah! bon! Le père, alors.
La cuisinière dégagea l'entrée et, quand Fraimoulu eut pénétré dans l'antichambre, elle lui
montra une porte en ajoutant:
--Tenez, frappez sans crainte

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