marche, tout marche»,
s'était-il dit, en poussant son neveu vers une profession qu'il comptait lui faciliter avec ses
écus. La preuve en était dans ces deux cent mille francs, mis, par lui, de côté pour la dot
de Gontran qu'il voulait marier et bien marier.
Depuis deux ans, Athanase Fraimoulu avait en vue, pour son neveu, un excellent parti. Il
le couvait avec soin, le surveillait, l'isolait de toute compétition dangereuse. Deux fois, il
était parti pour entamer l'affaire avec les parents de la jeune fille, mais la fatalité avait
voulu que ces deux fois-là fussent par un jour de pluie et l'amoureux Athanase, l'une et
l'autre fois, avait été détourné de son droit chemin par une jolie jambe de femme à suivre.
A cette double distraction, il s'était donné pour excuse que cette poire de mariage à
cueillir n'était pas encore tout à fait mûre. De plus, Gontran, un peu trop jeune pour le
ménage, n'avait pas eu le temps, suivant son expression, de «jeter ses gourmes».
Mais, aujourd'hui, tout était à point. L'heure était venue. Aussi Fraimoulu s'était-il bien
promis, tout aussitôt après avoir déjeuné avec son neveu, de se rendre d'une seule traite
chez le papa de la demoiselle visée par lui, et, séance tenante, de lui bâcler l'affaire.
Par malheur on l'a vu, Fraimoulu avait proposé, mais le mollet de Caroline Pistache, qui
passait, avait disposé.
Nous suivrons donc Fraimoulu qui, pour oublier son neveu, n'avait pas cette fois à se
donner l'excuse qu'il ambitionnait du fruit nouveau, car il avait été déjà le «petit Tatase»
de mademoiselle Pistache.
Arrivé à vingt mètres de celle qu'il poursuivait, il maintint cette distance, réglant son pas
sur celui de la belle dont son regard admirait les rondeurs du bas de la jambe que les
jupes retroussées mettaient à découvert.
--Elle demeure toujours rue Rougemont, pensa-t-il en voyant sa prochaine proie dépasser
le faubourg Montmartre.
Il pressa le pas, et, déjà il avait raccourci la distance de moitié quand, soudain, il fit un
brusque arrêt en murmurant, tout ébahi d'admiration:
--Sapristi! la magnifique créature!!! D'où diable Pistache la connaît-elle?
En effet, mademoiselle Pistache avait suspendu sa marche, arrêtée au passage par une
autre femme marchant à sa rencontre.
Quiconque aime les beautés plantureuses aurait partagé l'admiration de Fraimoulu pour
celle qu'il traitait de créature magnifique. C'était une femme d'une trentaine d'années, aux
robustes formes, aux traits réguliers, mais massifs, à l'opulente chevelure, tout éclatante
de force et de santé... un Rubens! comme on dit.
Vêtue d'une robe de laine, bien ajustée sur ses formes rebondies et fermes, elle portait un
tablier de soie noire et, sur ses cheveux un peu ébouriffés, s'étalait un bonnet de linge
dont les rubans flottaient sur son dos. A son bras était passé un panier à carré long, muni
d'un double couvercle.
C'était elle, à ce moment, qui parlait et ce qu'elle racontait devait être du dernier drôle, car
Pistache, en l'écoutant, pouffait de rire...
Cependant, Athanase, arrêté sur place et les yeux dardés étincelants sur la femme au
panier, se disait en interrogeant sa mémoire:
--Mais je la connais, cette superbe brune. Je l'ai déjà vue... Oui, mais où ça?... Je
demanderai tout à l'heure à Pistache des renseignements qui m'éclaireront sur l'endroit où
je me suis rencontré avec ce morceau de roi.
Et, tout curieux de savoir ce que le morceau de roi pouvait conter de si cocasse à Pistache,
qui s'en tenait les côtes, Athanase, tournant le dos aux deux femmes et feignant d'admirer
les oeuvres en montre du fameux marchand de bronzes Barbedienne, s'approcha des
causeuses à petits pas de côté.
--Ah! quelle roublarde tu fais! bégayait Pistache, secouée par le rire. Alors tu lui as
flanqué un béguin?
--De premier choix. A ce point qu'il s'est débarrassé de sa femme... Je le tiens sous le
boisseau, mon cher bourgeois. Je ne lui laisse voir qu'une seule personne, son docteur.
--Mais si ce médecin allait se tourner contre toi?
--Pas moyen, ma chère.
--Pourquoi?
--Parce que le docteur en question est Gustave, que je lui ai fait prendre pour médecin.
--Et il en tient toujours pour toi, le beau Gustave?
--Un véritable enragé.
Sans doute que Pistache se crut suffisamment éclairée sur ce point, car elle aborda un
autre sujet.
--Mais que devient la jeune fille dans tout ça? Elle est d'âge à être mariée?
--Aussi est-il question de lui chercher un mari. Au fond, je ne lui en veux pas, moi, à cette
petite. Je pousse d'autant mieux à son mariage que ça lui fera quitter la boîte. Alors j'aurai
l'autre bien entièrement sous la patte.
Puis, après un temps d'une seconde:
--Avant quatre ans, j'aurai des plumes dans mon édredon, je te le promets, ajouta la belle
au panier.
--Il a donc un fort sac?
--Un sac monstre.
En plus
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