La confession dun abbé | Page 8

Louis Uhlbach
pas trop riche pour être jamais au bout de sa fortune et des héritages qu'il n'attendra pas; car avant six mois il sera mort; c'est encore, je vous le répète, monsieur, le rebut des boudoirs de la prostitution... Il a une ma?tresse qu'il gardera après son mariage, car elle a le secret de toutes ses infamies, mais qui n'est que l'infirmière de ce gangrené. Je le sais... J'ai acheté à cette femme la preuve, les prescriptions des spécialistes, et c'est à ce cadavre que le duc de Thorvilliers, méchamment, scélératement, dans un but que vous saurez, veut lier cette jeune fille charmante, pure. Il sait la vérité sur ce gendre honteux; mais il en a besoin pour son orgueil et pour sa vengeance. Voyez-vous le crime, monsieur? Flétrir, empoisonner sciemment une enfant sans défense... Voilà ce qu'il faut empêcher, au nom de la morale, au nom de la pitié... Voilà ce que je ne veux pas... Ce que je viens vous dénoncer.
M. Herment frappait de sa main large et blanche le bras de son fauteuil; il ne baissait plus les yeux. Il regardait le sous-secrétaire d'état en face, essayant de le magnétiser de la flamme de ses prunelles, de le convaincre par le frissonnement de sa bouche.
M. Barbier soutint le choc de cette éloquence électrique. Il comprenait un peu, mais pas assez.
--Décidément, se disait-il, pour s'excuser d'être ému et pour s'en venger, c'est un ancien avocat général ou un président. Mais de quoi se mêle-t-il?
--Avant tout, monsieur, reprit-il d'un ton de condescendance, je vous demanderai à quel titre vous voulez intervenir dans ce drame de famille.
--A quel titre?
M. Herment se troubla, rougit; mais sa paleur reprit le dessus, et aussi son courage:
--Ne vous suffit-il pas de savoir que le fait est vrai? Ne vous suffit-il pas que je vous en donne la preuve? que vous puissiez l'acquérir vous-même? Qu'importe qui je suis! Un vieillard qui conna?t, depuis sa naissance, cette jeune fille, cette orpheline, car sa mère est morte, et M. le duc de Thorvilliers ne compte pas pour l'amour paternel... Je suis le premier venu, mis au courant d'une atrocité... Je viens vous la dénoncer, crier au meurtre!
--Mais il n'y a pas de meurtre, répliqua M. Barbier.
--Il y a pis que cela; il y a le supplice de l'innocence.
--En tout cas, ce cri de détresse ne vous est pas permis, si vous n'êtes ni le tuteur, ni le parent, à un degré quelconque.
--C'est vrai! dit tristement le vieillard. Voilà pourquoi, au lieu de m'adresser à la police, je m'adresse à vous. Non, je le sais, on me fermerait la bouche, si je dénon?ais publiquement cet attentat; on me traiterait de calomniateur; on me condamnerait; on m'enfermerait. Je n'ai aucun droit, que celui de l'intérêt que je porte depuis vingt ans à cette enfant. Cela ne suffit pas pour une action publique; mais cela doit suffire pour une action... discrète; car enfin, il y a la loi morale au-dessus de la loi étroite... Ah! si vous pouviez pénétrer toute l'horreur de ce crime!
M. Herment éleva les bras, par un geste, si solennellement tragique, qu'il étonna plus qu'il n'émut M. Barbier.
On e?t dit un acteur, jouant avec génie une scène, mais la jouant au naturel, ou un procureur fulminant un réquisitoire, en tout cas, un orateur que l'art transfigurait dans son explosion la plus élevée, la plus sincère.
M. Barbier, intrigué par ce mélange de passion et de suprême habileté, ne fut que plus curieux de conna?tre son visiteur.
--Vous ne m'avez pas répondu, monsieur, reprit-il d'un ton presque caressant. Je ne doute pas de votre parole, mais encore faut-il que je sache...
--J'ai été le premier ma?tre... plus que cela, le premier ami, de cette jeune fille, répondit M. Herment avec une précipitation singulière, en coupant la parole à M. Barbier.
--Son professeur? demanda le sous-secrétaire d'état, de plus en surpris.
--Oui, monsieur.
En disant cela, M. Herment rougissait.
--Est-ce M. le duc de Thorvilliers qui vous avait donné cette fonction auprès de sa fille?
M. Barbier faisait cette question, faute d'en trouver une autre.
Ce singulier professeur confondait toutes ses idées.
Sa question cingla le coeur de M. Herment qui se souleva de son fauteuil, en s'appuyant sur les bras, et, avec un étincellement des yeux, presque farouche:
--Non, balbutia-t-il, ce n'est pas le duc qui m'avait chargé de ce devoir.
--Alors, veuillez m'expliquer...
M. Herment retomba dans son fauteuil, baissa la tête, et, la relevant presque aussit?t, avec décision:
--Il faut bien que vous sachiez tout... je suis résolu à tout dire: je ne suis pas seulement le premier ma?tre de cette jeune fille... je suis son père.
La confidence devenait fort intéressante.
M. Barbier, accoudé sur son bureau, caressait lentement sa bouche de son doigt, pour y attirer des paroles sages; il réfléchissait.
A ce moment, on frappa légèrement à la porte, et un huissier apporta une lettre qu'il tendit silencieusement au sous-secrétaire d'état.
C'était
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 116
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.