La confession dun abbé | Page 7

Louis Uhlbach
tenté de croire à un coup d'état: car depuis le 2 décembre 1851, jamais un ministre, ou son clair de lune, n'avait lui de si bon matin.
M. Barbier lui-même fut très étonné, après coup, d'avoir été si matinal. Il sourit en remarquant que la pendule officielle n'était pas plus en avance que sa montre; c'était sa curiosité seule qui l'avait trompé.
Il s'occupa de quelques affaires; mais elles furent examinées en cinq minutes et il eut le loisir d'un peu d'ennui.
A dix heures un quart, on venait le prévenir que M. Louis Herment était là.
Avant de le faire introduire, le sous-secrétaire d'état s'assura qu'il n'était venu, ni pour lui, ni adressé directement au ministre, aucun message de la préfecture de police.
Le mystère n'était pas si facile à pénétrer! C'était une première manche gagnée dans la partie engagée avec le préfet de police. Mais le sous-secrétaire d'état fut moins frappé que dépité de ce succès négatif. Il donna l'ordre de faire entrer M. Herment.
En le revoyant, au jour clair et matinal, M. Barbier le trouva moins vieux que la veille, mais aussi imposant, aussi attirant.
Le visage, qui gardait la même paleur, avait cependant une translucidité plus facile. On sentait qu'un feu intérieur pouvait, au moindre souffle, s'y répandre et le colorer. Les yeux brillaient d'une angoisse contenue et aussi d'une espérance forcée. La bouche était comme préparée à l'éloquence, tant elle s'ouvrit vite à un sourire de courtoisie, de remerciement et de supplication, qui était charmant dans ce masque sévère et qui, pourtant, n'avait rien de contraint.
--Décidément, c'est un ancien magistrat, pensa M. Barbier.
Il montra un fauteuil, placé près de son bureau qui lui permettait de bien voir son visiteur, en ayant l'air de lui permettre seulement de le bien écouter.
M. Herment, en s'asseyant, éloigna un peu le fauteuil. Il n'avait pas l'habitude de parler de si près. Sa voix, son émotion, sa conviction avaient assez de portée. Il pla?a presque familièrement son chapeau sur le bord du bureau plat, justifiant cette prise de possession par un rouleau de papier qu'il déposa dans le chapeau; puis il remercia, en quelques mots, polis sans obséquiosité, le haut fonctionnaire qui lui avait réservé cette audience.
--On ne nous dérangera pas, dit obligeamment M. Barbier.
--Je vous ai prévenu, monsieur, reprit d'une voix grave M. Herment, que j'avais à vous dénoncer un crime. Je ne crois pas qu'il puisse s'en commettre un plus grand...
Il s'arrêta, respira; son inquiétude l'oppressait. Après deux secondes de repos, il continua:
--Vous savez sans doute, monsieur, tous les journaux en parlent, qu'on doit célébrer dans trois semaines, à l'église de la Madeleine, le mariage de mademoiselle Marie-Louise de Thorvilliers avec le prince de Lévigny.
M. Barbier ignorait absolument l'annonce de ce mariage. Ce n'était pas sur les faits-divers de cette nature, qu'il recevait tous les jours, un rapport du bureau chargé de lire, de contr?ler et d'analyser les journaux; mais il n'ignorait pas que le duc de Thorvilliers portait un des plus grands noms du faubourg Saint-Germain, et que le prince de Lévigny était, par sa fortune, par ses alliances, un des partis les plus considérables du même quartier.
Le sous-secrétaire d'état fit un signe de tête, comme s'il était très informé de cet événement mondain, et demanda avec un étonnement légèrement ironique:
--C'est à propos de ce mariage que vous avez une communication à me faire?
--Oui, monsieur.
--Je vous écoute.
--Ce mariage serait un crime. Il faut, à tout prix, l'empêcher.
M. Barbier eut un petit bondissement de surprise sur son siège.
--Un crime! Un si beau mariage! L'empêcher à tout prix, dites-vous? Je ne comprends pas.
Il regardait M. Herment, repris du doute qu'il avait eu la veille, se demandant si son visiteur n'était pas fou.
Celui-ci devinait bien la surprise qu'il provoquait. D'une voix vibrante, fermant à demi les yeux pour ne pas voir les paroles qui allaient effleurer ses lèvres, il continua:
--J'espère que vous comprendrez bient?t. Est-ce qu'il y a un plus grand crime, par exemple, que de sacrifier une enfant à la plus effroyable ambition, à la plus basse vengeance?... que de marier une jeune fille chaste, d'une admirable candeur, à un débauché, perdu d'honneur, perdu de vices, perdu de santé?
M. Herment avait parlé avec véhémence; il laissa cependant tomber les derniers mots, hésitant à les prononcer.
M. Barbier craignait d'être dé?u. Le crime ne lui apparaissait pas nettement; il n'en mesurait pas la profondeur. Sa déception se compliquait d'un prodigieux effarement. Qu'est-ce que M. Herment, cet habitant du boulevard des Batignolles, pouvait avoir à démêler avec ce projet de mariage aristocratique? Une jeune fille mariée par ambition; n'était-ce pas le drame vulgaire?
Il se taisait et réfléchissait; M. Herment reprit vivement, en se redressant sur son fauteuil:
--Oui, le prince de Lévigny n'est pas seulement un niais, incapable de comprendre l'ame de celle qu'on prétend lui donner; ce n'est pas seulement un joueur éhonté, qui serait ruiné, s'il n'était
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