le rapport attendu. Le préfet de police s'excusait d'être un peu en retard; mais les renseignements avaient été difficiles à prendre, tant M. Herment vivait entouré de précautions et enveloppé de silence.
On avait pu faire causer une femme qui s'occupait de son ménage, et voici ce qu'on avait recueilli.
?Herment n'est pas son nom. Il cache son nom véritable. Il re?oit peu de visites. Il sort souvent, surtout depuis un mois. Il lui est arrivé de rentrer fort tard, et quelquefois de ne rentrer que le matin. Les voisines prétendent qu'il assiste à des conciliabules légitimistes. Il occupe une petite chambre, au troisième, dans une maison meublée. Quelques bijoux de famille font supposer qu'il avait autrefois une grande fortune. Il a sur un cachet et sur une bague des armoiries. La propriétaire est persuadée que c'est un grand seigneur qui se cache. Sa femme de ménage a découvert, pendant la visite qu'un chanoine de Notre-Dame a rendu un jour au prétendu M. Herment, qu'il est un prêtre interdit; ce qui alarme sa conscience de dévote... On le saura tant?t.?
M. Barbier laissa tomber le rapport devant lui.
Pendant qu'il lisait, M. Herment, les mains jointes et pressées sur sa poitrine pour y faire rentrer le secret de tendresse qui s'en était échappé, avait une attitude ecclésiastique, dans une sorte de contemplation paternelle, qui achevait la révélation.
Le sous-secrétaire d'état sentait dans son front des piq?res d'aiguilles. Le mystère devenait dramatique. S'il n'appréciait pas encore à toute sa valeur le crime dénoncé, il entrevoyait dans le dénonciateur du crime, lui-même, sinon un criminel, au sens juridique du mot, du moins un grand coupable selon le morale. Le personnage, toujours mystérieux, ne perdait pas de son intérêt pour cela.
Quel drame ou quel roman sous ces trois révélations? Un grand nom caché, une grande fortune perdue, un prêtre qui était père, dans ce pauvre homme logé en garni, aux Batignolles!
--Monsieur, dit brusquement M. Barbier, en posant devant lui la note de la police, vous ne portez pas votre nom!
M. Herment s'éveilla en sursaut de son rêve, darda ses yeux qui se reculèrent dans leurs orbites profondes, vit et devina sur le bureau le papier de la police, que l'enveloppe, baillant encore après l'effraction, dénon?ait.
Il eut un plissement du front; son sourire s'aiguisa. Il répondit avec une intention de fierté:
--Il serait plus exact de dire que je ne porte pas mon nom tout entier et que j'en ai traduit une partie en fran?ais.
--Vous êtes étranger?
--Non, monsieur, mon nom de famille est alsacien. Je suis le comte Louis Hermann d'Altenbourg. J'ai bien le droit, sous la République, de ne pas me targuer d'un titre, et depuis que mon pays est allemand, de traduire Hermann par Herment... Est-ce là, monsieur, tout ce que la police a découvert sur mon compte?
--Non.
--Ah!
M. Barbier hésita à continuer. Cette femme de ménage, après tout, s'était peut-être trompée! Sans être ni dévot, ni catholique, ni peut-être chrétien, le sous-secrétaire d'état au ministère de la justice l'était également au ministère des cultes. Cela suffisait pour qu'il lui répugnat de trouver un prêtre réfractaire et adultère dans cet homme si grave, si digne, si émouvant.
Pendant sa courte hésitation, et tout en remuant le papier accusateur, M. Barbier se souvint que M. Herment connaissait très bien le ministère et ses êtres. Il y était venu sans doute, comme ecclésiastique, solliciter de l'avancement, ou essayer de s'y faire défendre.
Le sous-secrétaire d'état voulut durcir sa voix, lui donner la tonalité d'un fonctionnaire qui fonctionne; mais sa gêne persistait. Il dit:
--La note que j'ai là me donne un renseignement que vous avez omis et qui vous embarrassait sans doute... Vous êtes un prêtre interdit?
M. Herment s'attendait à cette question. Il resta impassible:
--Oui, monsieur.
Il se fit un petit silence.
M. Barbier regardait un peu en dessous le prêtre, et celui-ci le regardait fixement, de ses yeux qui n'étaient plus tentés de pleurer.
M. Herment ajouta simplement, gravement, lentement:
--C'est parce que je suis frappé d'indignité, que j'ai besoin de vous, monsieur.
--Vous ne me facilitez pas la besogne!
--Serait-elle plus facile, si j'étais un homme marié, doublement adultère?
La remarque était audacieuse, étrange. Elle pouvait para?tre cynique, de la part de ce prêtre, en apparence si respectable; mais il avait une fa?on si ordinaire de dire les choses extraordinaires, qu'il fallait croire à une aberration, plut?t qu'à une émancipation brutale de sa conscience, à une illusion candide de sa tendresse paternelle, plut?t qu'à l'entêtement d'un révolté.
--De toute fa?on, en effet, répliqua M. Barbier, en admettant la réalité de ce... danger pour votre enfant, nous sommes sans armes pour agir contre celui que la loi reconna?t comme père. M. le duc de Thorvilliers n'a pas, évidemment, désavoué sa...fille?
--Non, monsieur.
--Je crains que vous ne m'ayez fait une confidence inutile.
M. Herment secoua la tête.
--Vous ne savez rien encore!
M. Barbier eut un mouvement. Le récit promettait d'être intéressant, mais le tête-à-tête pouvait
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.