La confession dun abbé | Page 6

Louis Uhlbach
préfet la re?ut, comme un expert re?oit une pièce à juger; il l'examina, et dit ensuite:
--Votre visiteur ne rend guère de visites. Je gagerais que cet autographe est le seul de son espèce. Votre homme a prévu qu'il serait obligé de vous donner son nom et son adresse. Il a confectionné ceci à votre seule intention. Le carton a été découpé par un canif et une règle, ce matin; l'écriture est toute fra?che; quant au nom, il est tracé avec une application qu'on n'a pas d'ordinaire, en reproduisant sa signature. Aucun trait n'échappe à la volonté de bien écrire. Voulez-vous mon sentiment? C'est là un faux nom.
--Pourquoi, alors, aurait-il ajouté son adresse?
--Si le nom est faux, l'adresse est fausse. Il s'agissait uniquement de vous inspirer une demi-heure de confiance. L'homme ne prévoyait pas que vous me rencontreriez et que j'enverrais un agent à son prétendu domicile.
--De sorte que, demain matin, à dix heures, vous pourriez me donner des renseignements sur cet individu?
--A dix heures, soit. Je ne vous garantis pas, pour une heure si matinale, toute la vérité, ni même la vérité vraie; mais nous aurons des vraisemblances, des conjectures, et, pour un commencement d'enquête, cela suffit... Tenez! Je vois déjà que ce M. Herment est un homme déchu.
--A quoi voyez-vous cela?
--A la petite prétention de la carte, et à l'adresse. Nous avons bien des naufragés dans ce quartier-là!
--Je vous affirme qu'il a l'air très respectable, une belle figure.
--On sauve tout cela du naufrage. Quel linge a-t-il?
--Ah! parbleu, vous m'en demandez trop. Il faisait presque nuit. Mais vous voyez qu'il a les mains propres, puisque sa carte est immaculée.
Le d?ner était fini. Le ministre se levait de table.
La conversation en resta là. Mais elle se renoua pour une seconde, quand, d'assez bonne heure, avant tous les convives, après avoir pris congé du garde des sceaux, d'une fa?on ostensible, pour être, remarqué, le préfet de police se retira.
C'est la coquetterie d'un fonctionnaire de cet ordre de para?tre pressé de partir, comme si Paris br?lait, s'insurgeait ou s'égorgeait, pendant chaque minute perdue dans le monde.
M. Barbier, qui semblait le guetter, le retint à la porte du salon principal, et le reconduisant jusqu'à, l'antichambre, avec l'aisance d'un homme qui est presque chez lui:
--J'ai oublié de vous demander un renseignement, mon cher préfet. Je ne sais pas ce que M. Herment doit me raconter; mais dans le cas où ce brave homme--car je m'en tiens à ma première impression--me dénoncerait réellement un crime, une machination contre quelqu'un; bien que je sois décidé à rester dans une grande réserve, je voudrais cependant savoir quels sont les moyens préventifs que possède la police.
--Elle n'en a qu'un, l'intimidation. Cela réussit auprès des malheureux, des jeunes gens, mineurs ou majeurs, qui ont l'instinct du salut, sans en avoir la force, auprès des déclassés, des gens nerveux. C'est notre plus beau r?le; mais c'est le moins justifié par la loi. Nous rendons, sous ce rapport, à bien des familles, des services qui nous seraient interdits, si les gens que nous faisons venir osaient invoquer la légalité. Mais ils l'ignorent, ou ils n'osent pas, et c'est tant mieux pour la morale. On conna?t si peu la loi en France, et on croit la liberté individuelle si mal garantie! Le code est si souvent une arme excellente pour les coquins et les mauvais sujets, qu'il faut bien excuser un peu d'arbitraire, au profit des honnêtes gens qui se défendent. Si vous saviez combien de pères de famille, combien de mères elles-mêmes viennent nous demander na?vement des lettres de cachet!
--Et vous en donnez?
--En général, nous n'arrêtons personne, arbitrairement. Mais notre triomphe est de faire croire que nous pouvons arrêter tout le monde.
--Qui donc peut croire cela?
--Qui? Les malheureux, je vous l'ai dit, les jeunes gens; mais encore faut-il qu'ils soient d'une certaine catégorie sociale. Les gens du monde sont difficiles à intimider, autrement que par la peur du scandale. Quant aux gens du grand, grand monde, ils nous échappent avant le crime; c'est bien assez de les attraper quelquefois après... Voilà, mon cher collaborateur, ce que je mets à votre disposition... Comme il est probable qu'il ne s'agit pas d'une affaire du grand monde, nous pourrons toujours dire à Croquemitaine de faire du bruit dans la coulisse...
--Je vous remercie, dit M. Barbier. Ce n'est pas grand'chose que Croquemitaine: il n'y a plus d'enfants!
--Plus d'enfants? Mais il n'y a que cela!
--Taisez-vous! Si le ministre vous entendait!
--Croit-il donc avoir affaire à des hommes?
--Chut! mauvaise langue.
--Mon cher, dans un gouvernement démocratique il faut toujours se maintenir en verve d'ironie; on peut retourner si vite à l'opposition!... Au revoir, à demain!
--A demain!

III
Le lendemain, M. Barbier arrivait au ministère de la justice avant dix heures.
Il avait surpris le gar?on en train d'épousseter d'un regard lent et habitué les lettres éparses sur le bureau. Ce vieil employé fut
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