La confession dun abbé | Page 5

Louis Uhlbach
mot gober était permis entre deux anciens camarades du même banc, au centre gauche de la Chambre; d'ailleurs qui donc est plus à portée de puiser dans l'argot que le préfet de police? Mais le mot n'en était pas moins une moquerie. M. Barbier sourit, à son tour à cette piq?re sans venin.
--Mon cher, je ne suis pas plus gobeur qu'un autre. Quand le dénonciateur a une apparence respectable...
Le préfet interrompit:
--Si les coquins n'étaient pas capables de surprendre le respect, il y aurait moins de dupes.
--Je serais bien étonné d'avoir affaire à un coquin. Le chef de la police avan?a son coude sur la table, comme il e?t fait à la tribune, et répliqua:
--Les honnêtes gens ne sont pas moins sujets à caution que les coquins. Leur candeur les abuse grossièrement et leur vertu les rend infatigables à harceler la police. Vous ne savez pas à quel héro?sme d'espionnage l'honnêteté peut pousser? On se fait, en général, une très fausse idée dans le public du nombre des instruments que nous mettons en oeuvre. Paris serait extraordinairement surpris d'apprendre avec combien peu d'agents embrigadés nous veillons sur lui. La plupart de nos captures importantes nous sont facilitées par des amis, pris de scrupule, qui ne veulent pas avoir sur la conscience la cachette d'un voleur ou d'un assassin, qui nous le livrent, sous la seule condition d'être tenus à l'écart de l'instruction, pour ne pas être exposés à des vengeances... Je ne vous parle pas des complices qui mangent le morceau, afin de bénéficier de cette complaisance... Voilà pour les crimes accomplis et dont nous poursuivons les auteurs. Mais les soup?ons, faciles à concevoir, après une audience de cour d'assises, après la représentation d'un drame! mais les billevesées des peureux! Rappelez-vous, pendant le siège de Paris, la terreur patriotique con?ue par de braves gardes nationaux, toutes les fois qu'ils voyaient une chandelle allumée, ou une lampe à abat-jour de couleurs, au cinquième étage d'une maison du boulevard Montmartre! Ils allaient dénoncer des espions, qu'on ne trouva jamais. Avant d'être préfet de police, pendant la Commune, j'ai connu un épicier, estimé, incapable de fausser la vérité, autrement qu'avec ses balances, qui a dénoncé et fait fusiller, le plus innocemment du monde, par l'armée de Versailles, le plus innocent de ses voisins, un chimiste, parce que celui-ci se livrait à des manifestations inconnues dans l'épicerie et qu'on assurait être des fabrications de fusées incendiaires! Cela m'a rendu défiant. Je re?ois des lettres de femmes mariées, me demandant de faire expulser, ou de faire enrégimenter par le bureau des moeurs des demoiselles qui les font jalouses; sans compter les belles-mères qui ne se rendent pas compte des agissements de leur gendre; les concierges et les propriétaires qui veulent sauvegarder la réputation de leur immeuble, compromise par des locataires mystérieux! On méprise mes agents, sans se douter qu'ils ont des émules, plus féroces et plus crédules dans beaucoup d'honnêtes gens.
--Et les honnêtes gens ne vous donnent jamais un bon avis?
--Jamais c'est trop dire. Si; quelquefois.
--Vous voyez donc bien!
--Mais ils se trompent quatre-vingt-quinze fois sur cent.
--Vous avez plus confiance dans les coquins que vous exploitez et qui vous exploitent?
--Non, pas plus, mais tout autant. Les na?fs se trompent; les coquins veulent nous tromper. Il n'y a pas de catégorie pour la vérité.
--C'est égal, reprit M. Barbier, en insinuant deux doigts dans la poche de son gilet, vous avez beau dire, j'ai bonne opinion de l'homme que j'ai re?u ce soir.
--Ah! il vous a remis un premier rapport?
--Non. Je l'attends demain.
--Je suis à vos ordres, si vous croyez qu'il vous indique une piste à suivre.
M. Barbier se mit à rire.
--Je tacherai de me passer de vous.
--Je vous en défie!
--Vous m'en défiez?
--Sans doute; et si vous y tenez, je prends même l'engagement de savoir, une heure après vous, ce dont il s'agit et d'aviser, deux heures avant vous, à ce qu'il faudra faire.
Le sous-secrétaire d'état promena les yeux autour de lui:
--Est-ce que vous auriez des agents ici?
Le préfet s'amusa à passer rapidement la revue des domestiques en livrée, qui servaient à table.
--Peut-être! En tout cas, il ne m'est pas difficile, vous le comprenez, de mettre quelques-uns de mes gens, en observation sur la place Vend?me; d'avoir les noms, les adresses, de toutes les personnes qui sortiront d'ici, après une audience...
--C'est vrai, répliqua le sous-secrétaire d'état, qui avait pris du bout des doigts la carte de son visiteur, et la remuait dans son gousset. Vous pouvez filer tout le monde. Faisons mieux, voulez-vous? Collaborons... Pouvez-vous, d'ici demain matin dix heures, savoir quel est le personnage qui m'a remis sa carte... que je n'ai pas encore lue?
M. Barbier tira de sa poche le petit carton sur lequel un nom était écrit à la plume et non imprimé. Il lut:
LOUIS HERMENT Boulevard des Batignolles, 20
Il passa la carte à son voisin.
Le
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