La confession dun abbé | Page 4

Louis Uhlbach
perdu. J'ai ma croix; je la porte, et je veux la porter seul. C'est pour un être innocent, que j'ai recours à vous.
La voix du vieillard, toujours basse, sonore, s'était mouillée d'une larme cachée.
Il leva les yeux au plafond, et avant que M. Barbier, intimidé, attiré de plus en plus par le charme de ce désespoir austère, f?t intervenu de nouveau, l'homme continua avec une politesse extrême:
--Je vous suis profondément reconnaissant, monsieur, de l'audience que vous m'accordez pour demain; à quelle heure?
--Je suis à mon bureau à dix heures.
--A dix heures, soit.
L'inconnu saluait pour se retirer.
--Vous donnerez votre nom à l'huissier, dit M. Barbier, sans trop de malice, avertissant ce visiteur qu'il ne s'était pas nommé.
--Mon nom!
Le vieillard s'arrêta, surpris, fit un léger mouvement en arrière; mais reprenant aussit?t son attitude digne et simple:
--C'est juste!... Mon nom vous ne l'avez pas; voici ma carte.
Dans l'obscurité croissante du cabinet, le sous-secrétaire d'état prit la carte et la glissa dans une des poches de son gilet; puis, respectueusement, il reconduisit, comme il e?t reconduit un procureur général, ou un conseiller à la cour de cassation, cet étranger qu'on n'avait pas voulu introduire.
En traversant le grand salon d'attente, sans doute un peu confus d'être escorté, l'étranger jeta un regard aux portraits des chanceliers, dont l'hermine se distinguait dans le crépuscule d'une soirée de mars, et parut les saluer, en les invoquant. On e?t dit qu'il les connaissait de vue.
La politesse de M. Barbier n'était pas due tout entière à la fascination. Instinctivement, le sous-secrétaire d'état voulait reprendre sur l'huissier la supériorité que celui-ci avait prétendu s'attribuer en renvoyant un importun, et, dans le vestibule, saluant une dernière fois l'inconnu:
--C'est convenu; à dix heures; je vous attendrai. On vous indiquera mon bureau.
--Je le connais, dit l'homme mystérieux, en répondant au salut et en sortant.
L'huissier tenait ouverte la porte extérieure.
Il se crut obligé de saluer plus bas que ne l'avait fait M. Barbier, ce solliciteur soudainement réhabilité et transfiguré, qui connaissait les êtres du ministère, qui était venu souvent sans doute, autrefois, au bon temps, quand les huissiers étaient considérés et habillés plus souvent à neuf, à l'époque des belles livrées, sous l'empire.

II
Le sous-secrétaire d'état fit son entrée dans le salon de M. le garde des sceaux, au moment où celui-ci regardait sa pendule, les sourcils froncés, et où la pendule sonnait la demie.
Le ministre salua d'un hochement de tête son jeune collaborateur; mais ne lui fit, ni compliment d'arriver à l'heure exacte, ni reproche d'avoir failli se faire attendre. Cette ponctualité était d'un zèle suffisant.
Les d?ners ministériels, surtout quand ils sont nombreux, paraissent les repas de corps des croque-morts de l'esprit. On y célèbre l'enterrement du défunt, mais sans que rien le rappelle.
Les dimensions de la table, la diversité et l'importance des convives, la peur d'être pris au mot, quand on n'est pas s?r d'en dire plus d'un par quart d'heure, la présence des domestiques, qui peuvent comparer les ministres en exercice aux ministres passés, et souvent dénoncer à ceux-ci les prétentions de ceux-là, l'embarras d'une argenterie d'apparat, entremêlée de fleurs traditionnelles et qui isole les vis-à-vis, plus encore que la distance, tout paralyse la conversation générale et ne permet, tout au plus, que les dialogues entre voisins.
Le sous-secrétaire d'état se trouvait placé à c?té du préfet de police.
Tous deux étaient jeunes, tous deux nouveaux en fonction. La lune de miel des fonctionnaires leur suggère des intempérances de tendresse et des indiscrétions de bonheur. Tous sont bavards, au début de leur importance. Leur première fatuité se décèle par la confidence de leurs bonnes fortunes administratives.
Le préfet égaya le sous-secrétaire d'état par quelques révélations malicieuses.
La police est un confessionnal et un dispensaire, et, comme les pénitents ou les malades n'y vont pas offrir leurs confessions, le secret n'est pas rendu absolument obligatoire par la confiance.
Tout à coup, M. Barbier, qui n'avait à opposer que des cancans administratifs aux racontars de la police secrète, fit un petit bond sur sa chaise, et, interrompant son voisin:
--Je vais probablement empiéter sur vos attributions, mon cher préfet.
--A quel propos?
--On s'adresse au ministère de la justice pour prévenir un crime.
--Un complot?
--Je ne crois pas. On m'a parlé d'une victime innocente.
--Il n'y a pas alors de politique dans l'affaire. Est-ce un meurtre?
--Je ne sais pas.
--Un viol? un enlèvement? une séquestration?
--C'est possible!
Le préfet vida un verre de bourgogne qu'on venait de lui verser, et, d'un ton de raillerie:
--Comment! vous ne savez rien?
--Non, rien encore.
--On se moque de vous.
--Je ne crois pas.
Le préfet écrasa sur le bord de son assiette une boulette de mie de pain qu'il avait triturée, pendant ses divers récits, et avec un sourire d'artiste qui va professer:
--Vous le verrez! on se moque de vous. Quant à moi, si je gobais le quart des dénonciations qui m'arrivent tous les matins, je ferais, tous les soirs, arrêter cent personnes dans Paris.
Le
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