La confession dun abbé | Page 3

Louis Uhlbach
coeur pour le faire remonter à ses joues, qui se colorèrent, comme du reflet d'un crépuscule invisible au dehors. Le jour gris-cendré venant du jardin rendait cette rougeur plus éclatante.
Elle dura peu. L'homme voulait redevenir froid. Il passa sa main blanche sur son front, sur ses joues, et les gla?a, puis la promenant sur sa bouche, il rendit à celle-ci sa souplesse; alors, droit, regardant bien en face le sous-secrétaire d'état:
--Monsieur, lui dit-il, je viens vous dénoncer un crime!
M. Barbier tressaillit, se recula, heurta de son épaule la vitre de la grande fenêtre, et presque effaré, balbutia:
--Un crime! Cela ne me regarde pas.
--Comment! ne représentez-vous pas la justice?
--Oui, celle qui nomme les magistrats. Vous auriez plus t?t fait de vous adresser au parquet, à la préfecture de police, ou simplement au commissaire de votre quartier. Moi, je ne pourrais que transmettre des instructions.
--Cela serait bien, si le crime était consommé...
--Quoi! il n'est pas commis?
--Non.
--Alors, ce n'est qu'une supposition de votre part?
--Dites: la certitude qu'il se commettra!
M. Barbier abasourdi de l'étrangeté de cette confidence, eut, un sourire, et croyant se soustraire au charme qui le taquinait, demanda d'une voix qui s'aiguisait:
--Ce crime est-il imminent?
--Dans trois semaines, il sera sans remède.
--Dans trois semaines! Alors, il n'y a pas une urgence absolue...
Le sous-secrétaire d'état était maintenant moins curieux que désappointé.
Cette moquerie supérieure, qui entre pour beaucoup dans la vocation des hommes d'état, s'agitait en lui. Il voulait se venger d'une émotion surprise, malavisée; il commen?ait à croire qu'il avait eu affaire à un maniaque.
Mais la raillerie naissante s'éteignit sous le rayon qui partit des grands yeux bleus de l'inconnu. Les cheveux du vieillard, qui pencha la tête et qui la mit sous le jour tombant, parurent blanchir davantage.
Avec une douceur indulgente et souveraine, il dit:
--Vous me prenez pour un fou, n'est-ce pas? Oh! je le comprends! C'était ma crainte, la raison de mon embarras. J'espère pourtant que, quand vous m'aurez entendu, vous ne verrez plus en moi qu'un homme très malheureux, qui a besoin de se confier à des coeurs honnêtes... J'avais, en me présentant ici, l'ambition de parvenir directement au ministre. C'est un vieillard, comme moi, plus agé que moi, un père de famille. Si vous voulez obtenir qu'il m'écoute!...
Ce fut au tour du sous-secrétaire d'état à rougir. Cet étranger lui donnait une le?on. Il repartit très poliment:
--M. le ministre ne pourrait vous recevoir, ni ce soir, ni demain; je suis prêt à vous écouter.
--C'est que... vous n'aviez que cinq minutes à m'accorder, et en voilà une ou deux...
--De perdues? voulez-vous dire, interrompit courtoisement M. Barbier. Si vous le pouvez et si vous le voulez, monsieur, si l'affaire très grave, à ce qu'il para?t, dont vous avez à m'entretenir, ne doit pas s'aggraver pour un retard de quelques heures, je me tiendrai demain, pendant toute la matinée, à votre disposition. Ce soir, il est vrai, je suis un peu pressé... Cependant si vous voulez me dire sommairement ce dont il s'agit...
--Sommairement!
Ce mot avait presque blessé le vieillard. Il eut un sourire qui ne voilait rien de sa tristesse.
--Sommairement! répéta-t-il, ce serait m'exposer encore au soup?on de folie. Je tiens à vous persuader que j'ai toute ma raison. Mais, pour me croire, il faut entendre des explications qui ne peuvent être sommaires. Vous le savez, monsieur, quand on porte longtemps en soi une idée, on l'a roulée si souvent qu'on l'a resserrée, qu'on en a fait une balle; on la croit irrésistible. Mais le jour de frapper, on s'aper?oit que le plomb gagne à s'émietter. Il ne s'agit plus de trouer la conviction, il faut l'envelopper, la pénétrer.
L'inconnu s'arrêta, comme scandalisé de l'image dont il se servait, honteux de sa rhétorique, un reste de vieille habitude oratoire que l'émotion ravivait.
Il craignit de gater l'opinion favorable qu'il voyait na?tre malgré tout, et alors, simplement, avec une bonhomie d'homme supérieur, en même temps qu'avec une aisance d'homme du monde, il dit au sous-secrétaire d'état:
--Vous l'avez très justement remarqué, monsieur; s'il ne s'agissait que d'un crime vulgaire, banal, bien qu'il n'y ait encore que le flagrant délit de la préméditation et que l'acte infame ne soit pas accompli, je devrais m'adresser au parquet, à la police, au commissaire, aux gendarmes; mais ce crime est d'une nature si spéciale, les coupables sont d'un rang qui les met si s?rement au-dessus des intimidations ordinaires, que j'ai besoin d'un secours, délicat autant que tout-puissant... que je m'adresse à la justice, en dehors des juges qui punissent les crimes bien avérés, palpables, mais qui ne les empêchent pas, et qui, d'ailleurs, ne punissent pas toujours.
--Vous excitez ma curiosité! ne put s'empêcher d'avouer le sous-secrétaire d'état.
--C'est un augure que j'emporte. Puisse-t-il me valoir votre pitié!
--Pour vous, monsieur?
--Oh! moi, il ne faut pas me plaindre. Ce n'est pas pour moi que je suis ici. Je ne peux plus être ni sauvé, ni
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 116
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.