La comtesse de Rudolstadt | Page 8

George Sand
Fr��d��ric, dit La Mettrie; je veux piquer sa curiosit�� par quelque bonne histoire, afin qu'il nous r��gale un de ces jours �� souper du Saint-Germain et de ses aventures d'avant le d��luge. Cela m'amusera. Voyons! o�� peut ��tre notre cher monarque �� cette heure? Baron, vous le savez! vous ��tes trop curieux pour ne pas l'avoir suivi, ou trop malin pour ne l'avoir pas devin��.
--Voulez-vous que je vous le dise? dit Poelnitz.
--J'esp��re, Monsieur, dit Quintus en devenant tout violet d'indignation, que vous n'allez pas r��pondre aux ��tranges questions de M. La Mettrie. Si Sa Majest��...
--Oh! mon cher, dit La Mettrie, il n'y a pas de Majest�� ici, de dix heures du soir �� deux heures du matin. Fr��d��ric l'a pos�� en statut une fois pour toutes, et je ne connais que la loi: ?Il n y a pas de roi quand on soupe.? Vous ne voyez donc pas que ce pauvre roi s'ennuie, et vous ne voulez pas l'aider, mauvais serviteur et mauvais ami que vous ��tes, �� oublier pendant les douces heures de la nuit le fardeau de sa grandeur? Allons, Poelnitz, cher baron, parlez; o�� est le roi �� cette heure?
?Je ne veux pas le savoir! dit Quintus en se levant et en quittant la table.
--A votre aise, dit Poelnitz. Que ceux qui ne veulent pas m'entendre se bouchent les oreilles.
--J'ouvre les miennes, dit La Mettrie.
--Ma foi, et moi aussi, dit Algarotti en riant.
Messieurs, dit Poelnitz, Sa Majest�� est chez la signora Porporina.
--Vous nous la baillez belle! s'��cria La Mettrie.?
Et il ajouta une phrase en latin, que je ne puis traduire parce que je ne sais pas le latin.
Quintus Icilius devint pale et sortit. Algarotti r��cita un sonnet italien que je ne comprends pas beaucoup non plus; et Voltaire improvisa quatre vers pour comparer Fr��d��ric �� Jules-C��sar; apr��s quoi, ces trois ��rudits se regard��rent en souriant; et Poelnitz reprit d'un air s��rieux:
?Je vous donne ma parole d'honneur que le roi est chez la Porporina.
--Ne pourriez-vous pas donner quelque autre chose? dit d'Argens, �� qui tout cela d��plaisait au fond, parce qu'il n'��tait pas homme �� trahir les autres pour augmenter son cr��dit.?
?Poelnitz r��pondit sans se troubler:
?Mille diables, monsieur le marquis, quand le roi nous dit que vous ��tes chez mademoiselle Cochois, cela ne nous scandalise point. Pourquoi vous scandalisez-vous de ce qu'il est chez mademoiselle Porporina?
--Cela devrait vous ��difier, au contraire, dit Algarotti; et si cela est vrai, je l'irai dire �� Rome.
--Et Sa Saintet��, qui est un peu gausseuse, ajouta Voltaire, dira de fort jolies choses l��-dessus.
--Sur quoi Sa Saintet�� _gaussera_-t-elle? demanda le roi en paraissant brusquement sur le seuil de la salle �� manger.
--Sur les amours de Fr��d��ric le Grand avec la Porporina de Venise, r��pondit effront��ment La Mettrie.?
Le roi palit, et lan?a un regard terrible sur ses convives, qui tous palirent plus ou moins, except�� La Mettrie.
?Que voulez-vous, dit celui-ci tranquillement; M. de Saint-Germain avait pr��dit, ce soir, �� l'Op��ra, qu'�� l'heure o�� Saturne passerait entre R��gulus et la Vierge. Sa Majest�� suivie d'un page...
--D��cid��ment, qu'est-ce que ce comte de Saint-Germain?? dit le roi en s'asseyant avec la plus grande tranquillit��, et en tendant son verre �� La Mettrie, pour qu'il le lui remplit de champagne.
On parla du comte de Saint-Germain; et l'orage fut ainsi d��tourn�� sans explosion. Au premier choc, l'impertinence de Poelnitz, qui l'avait trahi, et l'audace de La Mettrie, qui osait le lui dire, avaient transport�� le roi de col��re; mais, pendant le temps que La Mettrie disait trois paroles, Fr��d��ric s'��tait rappel�� qu'il avait recommand�� �� Poelnitz de bavarder sur certain chapitre, et de faire bavarder les autres, �� la premi��re occasion. Il ��tait donc rentr�� en lui-m��me avec cette facilit�� et cette libert�� d'esprit qu'il poss��dait au plus haut degr��, et il ne fut pas plus question de sa promenade nocturne que si elle n'eut ��t�� remarqu��e de personne. La Mettrie e?t bien os�� revenir �� la charge s'il y e?t song��; mais la l��g��ret�� de son esprit suivit la nouvelle route que Fr��d��ric lui ouvrait; et c'est ainsi que Fr��d��ric dominait souvent La Mettrie lui-m��me. Il le traitait comme un enfant que l'on voit pr��t �� briser une glace ou �� sauter par une fen��tre, et �� qui l'on montre un jouet pour le distraire et le d��tourner de sa fantaisie. Chacun fit son commentaire sur le fameux comte de Saint-Germain; chacun raconta son anecdote. Poelnitz pr��tendit l'avoir vu en France, il y avait vingt ans. Et je l'ai revu ce matin, ajouta-t-il, aussi peu vieilli que si je l'avais quitt�� d'hier. Je me souviens qu'un soir, en France, entendant parler de la passion de Notre-Seigneur J��sus-Christ, il s'��cria, de la fa?on la plus plaisante et avec un s��rieux incroyable: ?Je lui avais bien dit qu'il finirait par se faire un mauvais parti chez ces m��chants Juifs. Je lui
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