La comtesse de Rudolstadt | Page 7

George Sand
un vieillard. Ayant pass�� toute sa jeunesse avec les actrices, tour �� tour trompeur et tromp��, toujours amoureux fou de la derni��re, il avait fini par ��pouser en secret mademoiselle Cochois, premier sujet de la Com��die-Fran?aise �� Berlin, personne fort laide, mais fort intelligente, et qu'il s'��tait plu �� instruire. Fr��d��ric ignorait encore cette union myst��rieuse, et d'Argens n'avait garde de la r��v��ler �� ceux qui pouvaient le trahir. Voltaire cependant ��tait dans la confidence. D'Argens aimait sinc��rement le roi; mais il n'en ��tait pas plus aim�� que les autres. Fr��d��ric ne croyait �� l'affection de personne, et le pauvre d'Argens ��tait tant?t le complice, tant?t le plastron de ses plus cruelles plaisanteries.
On sait que le colonel d��cor�� par Fr��d��ric du surnom emphatique de Quintus Icilius ��tait un Fran?ais d'origine, nomm�� Guichard, militaire ��nergique et tacticien savant, du reste grand pillard, comme tous les gens de son esp��ce, et courtisan dans la force du terme.
Nous ne dirons rien d'Algarotti, pour ne pas fatiguer le lecteur d'une galerie de personnages historiques. Il nous suffira d'indiquer les pr��occupations des convives de Fr��d��ric pendant son alibi, et nous avons d��j�� dit qu'au lieu de se sentir soulag��s de la secr��te g��ne qui les opprimait, ils se trouv��rent plus mal �� l'aise, et ne purent se dire un mot sans regarder cette porte entr'ouverte par laquelle ��tait sorti le roi, et derri��re laquelle il ��tait peut-��tre occup�� �� les surveiller.
La Mettrie fit seul exception, et, remarquant que le service de la table ��tait fort n��glig�� en l'absence du roi: ?Parbleu! s'��cria-t-il, je trouve le ma?tre de la maison fort mal appris de nous laisser ainsi manquer de serviteurs et de Champagne, et je m'en vais voir s'il est l�� dedans pour lui porter plainte.?
Il se leva, alla, sans crainte d'��tre indiscret jusque dans la chambre du roi, et revint en s'��criant:
?Personne! voil�� qui est plaisant. Il est capable d'��tre mont�� et �� cheval de faire faire une manoeuvre aux flambeaux pour activer sa digestion. Le dr?le de corps!
--C'est vous qui ��tes un dr?le de corps! dit Quintus Icilius, qui ne pouvait pas s'habituer aux mani��res ��tranges de La Mettrie.
--Ainsi le roi est sorti? dit Voltaire en commen?ant �� respirer plus librement.
--Oui, le roi est sorti, dit le baron de Poelnitz en entrant. Je viens de le rencontrer dans une arri��re-cour avec un page pour toute escorte. Il avait rev��tu son grand incognito et endoss�� son habit couleur de muraille: aussi ne l'ai-je pas reconnu du tout.?
Il nous faut bien dire un mot de ce troisi��me chambellan qui vient d'entrer, autrement le lecteur ne comprendrait pas qu'un autre que La Mettrie osat s'exprimer aussi lestement sur le compte du ma?tre. Poelnitz, dont l'age ��tait aussi probl��matique que le traitement et les fonctions, ��tait ce baron prussien, ce rou�� de la R��gence, qui brilla dans sa jeunesse �� la cour de madame Palatine, m��re du duc d'Orl��ans, ce joueur effr��n�� dont le roi de Prusse ne voulait plus payer les dettes, grand aventurier, libertin cynique, tr��s-espion, un peu escroc, courtisan effront��, nourri, encha?n��, m��prise, raill��, et fort mal salari�� par son ma?tre, qui pourtant ne pouvait se passer de lui, parce qu'un monarque absolu a toujours besoin d'avoir sous la main un homme capable de faire les plus mauvaises choses, tout en y trouvant le d��dommagement de ses humiliations et la n��cessit�� de son existence. Poelnitz ��tait en outre, �� cette ��poque, le directeur des th��atres de Sa Majest��, une sorte d'intendant supr��me de ses menus plaisirs. On l'appelait d��j�� le vieux Poelnitz, et on l'appela encore ainsi trente ans plus tard. C'��tait le courtisan ��ternel. Il avait ��t�� page du dernier roi. Il joignait aux vices raffin��s de la r��gence la grossi��ret�� cynique de la tabagie du Gros-Guillaume et l'impertinente raideur du r��gne bel esprit et militaire de Fr��d��ric le Grand. Sa faveur aupr��s de ce dernier ��tant un ��tat chronique de disgrace, il se souciait peu de la perdre; et d'ailleurs, faisant toujours le r?le d'agent provocateur, il ne craignait r��ellement les mauvais offices de personne aupr��s du ma?tre qui l'employait.
?Pardieu! mon cher baron, s'��cria La Mettrie, vous auriez bien d? suivre le roi pour venir nous raconter ensuite son aventure. Nous l'aurions fait damner �� son retour en lui disant comme quoi, sans quitter la table, nous avions vu ses faits et gestes.
--Encore mieux! dit Poelnitz en riant. Nous lui aurions dit cela demain seulement, et nous aurions mis la divination sur le compte du sorcier.
--Quel sorcier? demanda Voltaire.
--Le fameux comte de Saint-Germain qui est ici depuis ce matin.
--En v��rit��? Je suis fort curieux de savoir si c'est un charlatan ou un fou.
--Et voil�� le difficile, dit la Mettrie. Il cache si bien son jeu, que personne ne peut se prononcer �� cet ��gard.
--Et ce n'est pas si fou, cela! dit Algarotti.
--Parlez-moi de
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