La comedie de la mort | Page 8

Theophile Gaultier
chant fini;
Quand le calme et l'oubli viennent a toutes choses?Et que le sylphe rentre au pavillon des roses
Sous les parfums plie;?Emus de tout cela, pleins d'ardeurs inquietes?Vous avez souhaite ma liste et mes conquetes;
Vous m'avez envie
Les festins, les baisers sur les epaules nues,?Toutes ces voluptes a votre age inconnues,
Aimable et cher tourment!?Zerbine, Elvire, Anna, mes Romaines jalouses,?Mes beaux lis d'Albion, mes brunes Andalouses,
Tout mon troupeau charmant.
Et vous vous etes dit par la voix de vos ames:?Comment faisais-tu donc pour avoir plus de femmes
Que n'en a le sultan??Comment faisais-tu donc, malgre verroux et grilles,?Pour te glisser au lit des belles jeunes filles,
Heureux, heureux don Juan!
Conquerant oublieux, une seule de celles?Que tu n'inscrivais pas, une entre tes moins belles
Ta plus modeste fleur,?Oh! combien et longtemps nous l'eussions adoree!?Elle aurait embelli, dans une urne doree,
L'autel de notre coeur.
Elle aurait parfume, cette humble paquerette?Dont sous l'herbe ton pied a fait ployer la tete,
Notre pale printemps;?Nous l'aurions recueillie, et de nos pleurs trempee,?Cette etoile aux yeux bleus, dans le bal echappee
A tes doigts inconstants.
Adorables frissons de l'amoureuse fievre,?Ramiers qui descendez du ciel sur une levre,
Baisers acres et doux,?Chutes du dernier voile, et vous cascades blondes,?Cheveux d'or, inondant un dos brun de vos ondes
Quand vous connaitrons-nous?
Enfant, je les connais tous ces plaisirs qu'on reve;?Autour du tronc fatal l'antique serpent d'Eve
Ne s'est pas mieux tordu.?Aux yeux mortels, jamais dragon a tete d'homme?N'a d'un plus vif eclat fait reluire la pomme
De l'arbre defendu.
Souvent, comme des nids de fauvettes farouches,?Tout prets a s'envoler, j'ai surpris sur des bouches
Des nids d'aveux tremblants,?J'ai serre dans mes bras de ravissants fantomes,?Bien des vierges en fleur m'ont verse les purs baumes
De leurs calices blancs.
Pour en avoir le mot, courtisanes rusees,?J'ai presse, sous le fard, vos levres plus usees
Que le gres des chemins.?Egouts impurs, ou vont tous les ruisseaux du monde,?J'ai plonge sous vos flots; et toi, debauche immonde,
J'ai vu tes lendemains.
J'ai vu les plus purs fronts rouler apres l'orgie?Parmi les flots de vin, sur la nappe rougie;
J'ai vu les fins de bal?Et la sueur des bras, et la paleur des tetes?Plus mornes que la mort sous leurs boucles defaites
Au soleil matinal.
Comme un mineur qui suit une veine infeconde,?J'ai fouille nuit et jour l'existence profonde
Sans trouver le filon.?J'ai demande la vie a l'amour qui la donne,?Mais vainement; je n'ai jamais aime personne
Ayant au monde un nom.
J'ai brule plus d'un coeur dont j'ai foule la cendre,?Mais je restai toujours comme la Salamandre,
Froid au milieu du feu.?J'avais un ideal frais comme la rosee,?Une vision d'or, une opale irisee
Par le regard de Dieu;
Femme, comme jamais sculpteur n'en a petrie,?Type reunissant Cleopatre et Marie,
Grace, pudeur, beaute;?Une rose mystique, ou nul ver ne se cache,?Les ardeurs du volcan et la neige sans tache
De la virginite!
Au carrefour douteux, Y grec de Pythagore,?J'ai pris la branche gauche et je chemine encore
Sans arriver jamais.?Trompeuse volupte, c'est toi que j'ai suivie,?Et peut-etre, o vertu! l'enigme de la vie;
C'est toi qui la savais.
Que n'ai-je, comme Faust, dans ma cellule sombre,?Contemple sur le mur la tremblante penombre
Du microcosme d'or!?Que n'ai-je, feuilletant cabales et grimoires,?Aupres de mon fourneau, passe les heures noires
A chercher le tresor!
J'avais la tete forte, et j'aurais lu ton livre?Et bu ton vin amer, Science, sans etre ivre
Comme un jeune ecolier.?J'aurais contraint Isis a relever son voile;?Et du plus haut des cieux fait descendre l'etoile
Dans mon noir atelier.
N'ecoutez pas l'amour car c'est un mauvais maitre;?Aimer, c'est ignorer, et vivre c'est connaitre.
Apprenez, apprenez;?Jetez et rejetez a toute heure la sonde;?Et plongez plus avant sous cette mer profonde
Que n'ont fait vos aines.
Laissez Leviathan souffler par ses narines,?Laissez le poids des mers au fond de vos poitrines
Presser votre poumon.?Fouillez les noirs ecueils qu'on n'a pu reconnaitre,?Et dans son coffre d'or vous trouverez peut-etre
L'anneau de Salomon!
VIII.
Ainsi parla don Juan, et sous la froide voute,?Las, mais voulant aller jusqu'au bout de la route,
Je repris mon chemin.?Enfin je debouchai dans une plaine morne?Qu'un ciel en feu fermait a l'horizon sans borne,
D'un cercle de carmin.
Le sol de cette plaine etait d'un blanc d'ivoire,?Un fleuve la coupait comme un ruban de moire
Du rouge le plus vif.?Tout etait ras; ni bois, ni clocher, ni tourelle,?Et le vent ennuye la balayait de l'aile
Avec un ton plaintif.
J'imaginai d'abord que cette etrange teinte,?Cette couleur de sang dont cette onde etait peinte,
N'etait qu'un vain reflet;?Que la craie et le tuf formaient ce blanc d'ivoire,?Mais je vis que c'etait (me penchant pour y boire)
Du vrai sang qui coulait.
Je vis que d'os blanchis la terre etait couverte,?Froide neige de morts, ou nulle plante verte,
Nulle fleur ne germait;?Que ce sol n'etait fait que de poussiere d'homme,?Et qu'un peuple a remplir Thebes, Palmyre et Rome
Etait la qui dormait.
Une ombre, dos voute, front penche, dans la brise?Passa. C'etait bien LUI, la redingote grise
Et le petit chapeau.?Un aigle d'or planait sur sa tete sacree,?Cherchant, pour s'y poser, inquiete effaree,
Un baton de drapeau.
Les squelettes tachaient de rajuster leurs tetes,?Le spectre du tambour agitait
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