La comedie de la mort | Page 9

Theophile Gaultier
ses baguettes
A son pas souverain;?Une immense clameur volait sur son passage,?Et cent mille canons lui chantaient dans l'orage
Leur fanfare d'airain.
Lui ne paraissait pas entendre ce tumulte,?Et, comme un Dieu de marbre, insensible a son culte,
Marchait silencieux;?Quelquefois seulement, comme a la derobee,?Pour retrouver au ciel son etoile tombee
Il relevait les yeux
Mais le ciel empourpre d'un reflet d'incendie,?N'avait pas une etoile, et la flamme agrandie
Montait, montait toujours.?Alors, plus pale encor qu'aux jours de Sainte-Helene,?Il refermait ses bras sur sa poitrine pleine
De gemissements sourds.
Quand il fut devant nous: Grand empereur, lui dis-je,?Ce mot mysterieux que mon destin m'oblige
A chercher ici-bas,?Ce mot perdu que Faust demandait a son livre,?Et don Juan a l'amour, pour mourir ou pour vivre,
Ne le sauriez-vous pas?
O malheureux enfant! dit l'ombre imperiale,?Retourne-t'en la-haut, la bise est glaciale
Et je suis tout transi.?Tu ne trouverais pas, sur la route, d'auberge?Ou rechauffer tes pieds, car la mort seule heberge
Ceux qui passent ici.
Regarde... C'en est fait. L'etoile est eclipsee,?Un sang noir pleut du flanc de mon aigle blessee
Au milieu de son vol.?Avec les blancs flocons de la neige eternelle,?Du haut du ciel obscur, les plumes de son aile
Descendent sur le sol.
Helas! je ne saurais contenter ton envie;?J'ai vainement cherche le mot de cette vie,
Comme Faust et don Juan,?Je ne sais rien de plus, qu'au jour de ma naissance,?Et pourtant je faisais dans ma toute-puissance,
Le calme et l'ouragan.
Pourtant l'on me nommait par excellence, L'HOMME:?L'on portait devant moi l'aigle et les faisceaux, comme
Aux vieux Cesars romains:?Pourtant j'avais dix rois pour me tenir ma robe,?J'etais un Charlemagne emprisonnant le globe
Dans une de mes mains.
Je n'ai rien vu de plus du haut de la colonne?Ou ma gloire, arc-en-ciel tricolore, rayonne
Que vous autres d'en bas.?En vain de mon talon j'eperonnais le monde,?Toujours le bruit des camps et du canon qui gronde,
Des assauts, des combats.
Toujours des plats d'argent avec des clefs de villes,?Un concert de clairons et de hurrahs serviles,
Des lauriers, des discours;?Un ciel noir, dont la pluie etait de la mitraille,?Des morts a saluer sur tout champ de bataille.
Ainsi passaient mes jours.
Que ton doux nom de miel, Laetitia ma mere,?Mentait cruellement a ma fortune amere!
Que j'etais malheureux!?Je promenais partout ma peine vagabonde,?J'avais reve l'empire, et la boule du monde
Dans ma main sonnait creux.
Ah! le sort des bergers, et le hetre ou Tytire?Dans la chaleur du jour a l'ecart se retire
Et chante Amaryllis,?Le grelot qui resonne et le troupeau qui bele,?Le lait pur ruisselant d'une blanche mamelle
Entre des doigts de lys!
Le parfum du foin vert et l'odeur de l'etable,?Le pain bis des pasteurs, quelques noix sur la table,
Une ecuelle de bois;?Une flute a sept trous jointe avec de la cire,?Et six chevres, voila tout ce que je desire,
Moi, le vainqueur des rois.
Une peau de mouton couvrira mes epaules,?Galathee en riant s'enfuira sous les saules
Et je l'y poursuivrai:?Mes vers seront plus doux que la douce ambroisie,?Et Daphnis deviendra pale de jalousie
Aux airs que je jouerai.
Ah! je veux m'en aller de mon ile de Corse,?Par le bois dont la chevre en passant mord l'ecorce,
Par le ravin profond,?Le long du sentier creux ou chante la cigale,?Suivre nonchalamment en sa marche inegale
Mon troupeau vagabond.
Le Sphinx est sans pitie pour quiconque se trompe,?Imprudent, tu veux donc qu'il t'egorge et te pompe
Le pur sang de ton coeur;?Le seul qui devina cette enigme funeste?Tua Laius son pere et commit un inceste:
Triste prix du vainqueur!
IX.
Me voila revenu de ce voyage sombre,?Ou l'on n'a pour flambeaux et pour astre dans l'ombre
Que les yeux du hibou;?Comme apres tout un jour de labourage, un buffle?S'en retourne a pas lents, morne et baissant le muffle,
Je vais ployant le cou.
Me voila revenu du pays des fantomes;?Mais je conserve encor loin des muets royaumes,
Le teint pale des morts.?Mon vetement pareil au crepe funeraire?Sur une urne jete, de mon dos jusqu'a terre,
Pend au long de mon corps.
Je sors d'entre les mains d'une mort plus avare?Que celle qui veillait au tombeau de Lazare;
Elle garde son bien:?Elle lache le corps mais elle retient l'ame;?Elle rend le flambeau, mais elle eteint la flamme,
Et Christ n'y pourrait rien.
Je ne suis plus, helas! que l'ombre de moi-meme,?Que la tombe vivante ou git tout ce que j'aime,
Et je me survis seul,?Je promene avec moi les depouilles glacees?De mes illusions, charmantes trepassees
Dont je suis le linceul.
Je suis trop jeune encor, je veux aimer et vivre,?O mort... et je ne puis me resoudre a te suivre
Dans le sombre chemin;?Je n'ai pas eu le temps de batir la colonne?Ou la gloire viendra suspendre ma couronne;
O mort, reviens demain!
Vierge aux beaux seins d'albatre, epargne ton poete,?Souviens-toi que c'est moi qui le premier t'ai faite
Plus belle que le jour;?J'ai change ton teint vert en paleur diaphane,?Sous de beaux cheveux noirs j'ai cache ton vieux crane,
Et je t'ai fait la cour.
Laisse-moi vivre encor, je dirai tes louanges,?Pour orner tes palais, je sculpterai des anges,
Je forgerai des croix;?Je ferai dans l'eglise et dans le cimetiere?Fondre le marbre en
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