La comedie de la mort | Page 6

Theophile Gaultier
anges,
Sont condamnes a mort!
V.
A travers les soupirs les plaintes et le rale?Poursuivons jusqu'au bout la funebre spirale
De ses detours maudits.?Notre guide n'est pas Virgile le poete,?La Beatrix vers nous ne penche pas la tete
Du fond du paradis.
Pour guide nous avons une vierge au teint pale?Qui jamais ne recut le baiser d'or du hale
Des levres du soleil.?Sa joue est sans couleur et sa bouche bleuatre,?Le bouton de sa gorge est blanc comme l'albatre
Au lieu d'etre vermeil.
Un souffle fait plier sa taille delicate,?Ses bras, plus transparents que le jaspe ou l'agate,
Pendent languissamment;?Sa main laisse echapper une fleur qui se fane,?Et, ployee a son dos, son aile diaphane
Reste sans mouvement.
Plus sombres que la nuit, plus fixes que la pierre,?Sous leur sourcil d'ebene et leur longue paupiere
Luisent ses deux grands yeux,?Comme l'eau du Lethe qui va muette et noire,?Ses cheveux debordes baignent sa chair d'ivoire
A flots silencieux.
Des feuilles de cigue avec des violettes?Se melent sur son front aux blanches bandelettes,
Chaste et simple ornement;?Quant au reste, elle est nue, et l'on rit et l'on tremble?En la voyant venir; car elle a tout ensemble
L'air sinistre et charmant.
Quoiqu'elle ait mis le pied dans tous les lits du monde?Sous sa blanche couronne elle reste infeconde
Depuis l'eternite.?L'ardent baiser s'eteint sur la levre fatale?Et personne n'a pu cueillir la rose pale
De sa virginite.
C'est par elle qu'on pleure et qu'on se desespere:?C'est elle qui ravit au giron de la mere
Son doux et cher souci;?C'est elle qui s'en va se coucher, la jalouse,?Entre les deux amants, et qui veut qu'on l'epouse
A son tour elle aussi.
Elle est amere et douce, elle est mechante et bonne;?Sur chaque front illustre elle met la couronne
Sans peur ni passion.?Amere aux gens heureux et douce aux miserables,?C'est la seule qui donne aux grands inconsolables
Leur consolation.
Elle prete des lits a ceux qui, sur le monde,?Comme le Juif errant, font nuit et jour leur ronde
Et n'ont jamais dormi.?A tous les parias elle ouvre son auberge,?Et recoit aussi bien la Phryne que la vierge,
L'ennemi que l'ami.
Sur les pas de ce guide au visage impassible,?Nous marchons en suivant la spirale terrible
Vers le but inconnu,?Par un enfer vivant sans caverne ni gouffre,?Sans bitume enflamme, sans mers aux flots de soufre,
Sans Belzebuth cornu.
Voici contre un carreau comme un reflet de lampe?Avec l'ombre d'un homme. Allons, montons la rampe,
Approchons et voyons.?Ah! c'est toi, docteur Faust! Dans la meme posture?Du sorcier de Rembrandt sur la noire peinture
Aux flamboyants rayons.
Quoi! tu n'as pas brise tes fioles d'alchimiste,?Et tu penches toujours ton grand front chauve et triste
Sur quelque manuscrit!?Dans ton livre, aux lueurs de ce soleil mystique,?Quoi! tu cherches encor le mot cabalistique
Qui fait venir l'Esprit.
Eh bien! Scientia, ta maitresse adoree?A tes chastes desirs s'est-elle enfin livree?
Ou, comme au premier jour,?N'en es-tu qu'a baiser sa robe ou sa pantoufle,?Ta poitrine asthmatique a-t-elle encor du souffle
Pour un soupir d'amour?
Quel sable, quel corail a ramene ta sonde??As-tu touche le fond des sagesses du monde?
En puisant a ton puits,?Nous as-tu dans ton seau fait monter toute nue?La blanche Verite jusqu'ici meconnue?
Arbre, ou sont donc tes fruits?
FAUST.
J'ai plonge dans la mer sous le dome des ondes;?Les grands poissons jetaient leurs ondes vagabondes
Jusques au fond des eaux;?Leviathan fouettait l'abime de sa queue,?Les Syrenes peignaient leur chevelure bleue
Sur les bancs de coraux.
La seiche horrible a voir, le polype difforme,?Tendaient leurs mille bras, le caiman enorme
Roulait ses gros yeux verts;?Mais je suis remonte, car je manquais d'haleine;?C'est un manteau bien lourd pour une epaule humaine
Que le manteau des mers!
Je n'ai pu de mon puits tirer que de l'eau claire;?Le Sphinx interroge continue a se taire;
Si chauve et si casse,?Helas! j'en suis encore a peut-etre, et que sais-je??Et les fleurs de mon front ont fait comme une neige
Aux lieux ou j'ai passe.
Malheureux que je suis d'avoir sans defiance?Mordu les pommes d'or de l'arbre de science!
La science est la mort.?Ni l'upa de Java, ni l'euphorbe d'Afrique,?Ni le mancenilier au sommeil magnetique.
N'ont un poison plus fort.
Je ne crois plus a rien. J'allais, de lassitude,?Quand vous etes venus, renoncer a l'etude
Et briser mes fourneaux.?Je ne sens plus en moi palpiter une fibre,?Et comme un balancier seulement mon coeur vibre
A mouvements egaux.
Le neant! Voila donc ce que l'on trouve au terme!?Comme une tombe, un mort, ma cellule renferme
Un cadavre vivant.?C'est pour arriver la que j'ai pris tant de peine,?Et que j'ai sans profit, comme on fait d'une graine,
Seme mon ame au vent.
Un seul baiser, o douce et blanche Marguerite,?Pris sur ta bouche en fleur, si fraiche et si petite,
Vaut mieux que tout cela.?Ne cherchez pas un mot qui n'est pas dans le livre;?Pour savoir comme on vit n'oubliez pas de vivre.
Aimez, car tout est la!
VI.
La spirale sans fin dans le vide s'enfonce;?Tout autour, n'attendant qu'une fausse reponse
Pour vous pomper le sang,?Sur leurs grands piedestaux semes d'hieroglyphes,?Des Sphinx aux seins pointus, aux doigts armes de griffes,
Roulent leur oeil luisant.
En passant devant eux, a chaque pas l'on cogne?Des os demi ronges, des
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