La comedie de la mort | Page 5

Theophile Gaultier
siecle a l'agonie
Se lamente et se tord.?L'ange du jugement embouche la trompette?Et la voix va crier: Que justice soit faite,
Le genre humain est mort!
Je n'entendis plus rien. L'aube aux levres d'opale,?Tout endormie encor, sur le vitrage pale
Jetait un froid rayon,?Et je vis s'envoler, comme on voit quelque orfraye,?Que sous l'arceau gothique une lueur effraye,
L'etrange vision!
LA MORT DANS LA VIE.
IV.
La mort est multiforme, elle change de masque?Et d'habit plus souvent qu'une actrice fantasque;
Elle sait se farder,?Et ce n'est pas toujours cette maigre carcasse,?Qui vous montre les dents et vous fait la grimace
Horrible a regarder.
Ses sujets ne sont pas tous dans le cimetiere,?Ils ne dorment pas tous sur des chevets de pierre
A l'ombre des arceaux;?Tous ne sont pas vetus de la pale livree,?Et la porte sur tous n'est pas encor muree
Dans la nuit des caveaux.
Il est des trepasses de diverse nature,?Aux uns la puanteur avec la pourriture,
Le palpable neant,?L'horreur et le degout, l'ombre profonde et noire,?Et le cercueil avide entr'ouvrant sa machoire
Comme un monstre beant.
Aux autres, que l'on voit sans qu'on s'en epouvante?Passer et repasser dans la cite vivante
Sous leur linceul de chair,?L'invisible neant, la mort interieure?Que personne ne sait, que personne ne pleure,
Meme votre plus cher.
Car, lorsque l'on s'en va dans les villes funebres?Visiter les tombeaux inconnus ou celebres,
De marbre ou de gazon;?Qu'on ait ou qu'on n'ait pas quelque paupiere amie?Sous l'ombrage des ifs a jamais endormie,
Qu'on soit en pleurs ou non,
On dit: Ceux-la sont morts. La mousse etend son voile?Sur leurs noms effaces; le ver file sa toile
Dans le trou de leurs yeux;?Leurs cheveux ont perce les planches de la biere,?A cote de leurs os, leur chair tombe en poussiere
Sur les os des aieux.
Leurs heritiers, le soir, n'ont plus peur qu'ils reviennent; C'est a peine a present si leurs chiens s'en souviennent.
Enfumes et poudreux,?Leurs portraits adores trainent dans les boutiques,?Leurs jaloux d'autrefois font leurs panegyriques;
Tout est fini pour eux.
L'ange de la douleur, sur leur tombe en priere,?Est seul a les pleurer de ses larmes de pierre.
Comme le ver leur corps,?L'oubli ronge leur nom avec sa lune sourde;?Ils ont pour draps de lit six pieds de terre lourde.
Ils sont morts! et bien morts!
Et peut-etre une larme a votre ame echappee?Sur leur cendre, de pluie et de neige trempee,
Filtre insensiblement.?Qui les va rejouir dans leur triste demeure;?Et leur coeur desseche, comprenant qu'on les pleure,
Retrouve un battement.
Mais personne ne dit, voyant un mort de l'ame:?Paix et repos sur toi! L'on refuse a la lame
Ce qu'on donne au fourreau;?L'on pleure le cadavre et l'on panse la plaie,?L'ame se brise et meurt sans que nul s'en effraie
Et lui dresse un tombeau.
Et cependant il est d'horribles agonies?Qu'on ne saura jamais; des douleurs infinies
Que l'on n'apercoit pas.?Il est plus d'une croix au calvaire de l'ame?Sans l'aureole d'or, et sans la blanche femme
Echevelee au bas.
Toute ame est un sepulcre ou gisent mille choses;?Des cadavres hideux dans des figures roses
Dorment ensevelis.?On retrouve toujours les larmes sous le rire,?Les morts sous les vivants, et l'homme est a vrai dire
Une Necropolis.
Les tombeaux deterres des vieilles cites mortes,?Les chambres et les puits de la Thebe aux cent portes
Ne sont pas si peuples,?On n'y rencontre pas de plus affreux squelettes,?Un plus vaste fouillis d'ossements et de tetes
Aux ruines meles.
L'on en voit qui n'ont pas d'epitaphe a leurs tombes,?Et de leurs trepasses font comme aux catacombes
Un grand entassement;?Dont le coeur est un champ uni, sans croix ni pierres,?Et que l'aveugle Mort de diverses poussieres
Remplit confusement.
D'autres, moins oublieux, ont des caves funebres?Ou sont ranges leurs morts, comme celles des Guebres
Ou des Egyptiens;?Tout autour de leur coeur sont debout les momies,?Et l'on y reconnait les figures blemies
De leurs amours anciens.
Dans un pur souvenir chastement embaumee?Ils gardent au fond d'eux l'ame qu'ils ont aimee;
Triste et charmant tresor!?La mort habite en eux au milieu de la vie;?Ils s'en vont poursuivant la chere ombre ravie
Qui leur sourit encor.
Ou ne trouve-t-on pas, en fouillant, un squelette??Quel foyer reunit la famille complete
En cercle chaque soir??Et quel seuil, si riant et si beau qu'il puisse etre,?Pour ne pas revenir n'a vu sortir le maitre
Avec un manteau noir?
Cette petite fleur, qui, toute rejouie,?Fait baiser au soleil sa bouche epanouie,
Est fille de la mort.?En plongeant sous le sol, peut-etre sa racine,?Dans quelque cendre chere a pris l'odeur divine
Qui vous charme si fort.
O fiances d'hier, encore amants, l'alcove?Ou nichent vos amours, a quelque vieillard chauve
A servi comme a vous;?Avant vos doux soupirs elle a redit son rale,?Et son souvenir mele une odeur sepulcrale
A vos parfums d'epoux!
Ou donc poser le pied qu'on ne foule une tombe??Ah! lorsque l'on prendrait son aile a la colombe,
Ses pieds au daim leger;?Qu'on irait demander au poisson sa nageoire,?On trouvera partout l'hotesse blanche et noire
Prete a vous heberger.
Cessez donc, cessez donc, o vous, les jeunes meres?Bercant vos fils aux bras des riantes chimeres,
De leur rever un sort;?Filez-leur un suaire avec le lin des langes.?Vos fils, fussent-ils purs et beaux comme les
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