La comedie de la mort | Page 4

Theophile Gaultier
tes cotes;?A la place ou tu dors les herbes seront hautes;
Aux mains de Dieu tout sert!
Un mort qu'ils reveillaient les pria de se taire;?Un pale eclair parti non du ciel mais de terre
Me fit dans leurs tombeaux?Voir tous les trepasses cadavres ou squelettes,?Avec leurs os jaunis ou leurs chairs violettes,
S'en allant par lambeaux;
Les jeunes et les vieux, peuple du cimetiere,?Pauvres morts oublies n'entendant sur leur pierre
Gemir que l'ouragan,?Et devores d'ennui dans leur froide demeure,?De leurs yeux sans regard cherchant a savoir l'heure
A l'eternel cadran.
Puis tout devint obscur, et je repris ma route,?Pale d'avoir tant vu, plein d'horreur et de doute,
L'esprit et le corps las;?Et me suivant partout, mille cloches felees,?Comme des voix de mort me jetaient par volees
Les ralements du glas.
III.
Et je rentrai chez moi.--De lugubres pensees?Tournaient devant mes yeux sur leurs ailes glacees
Et me rasaient le front.?Comme on voit sur le soir autour des cathedrales,?Des essaims de corbeaux derouler leurs spirales
Et voltiger en rond.
Dans ma chambre, ou tremblait une jaune lumiere,?Tout prenait une forme horrible et singuliere,
Un aspect effrayant.?Mon lit etait la biere et ma lampe le cierge,?Mon manteau deploye le drap noir qu'on asperge
Sous la porte en priant.
Dans son cadre terni, le pale Christ d'ivoire?Cloue les bras en croix sur son etoffe noire,
Redoublait de paleur;?Et comme au Golgotha, dans sa dure agonie,?Les muscles en relief de sa face jaunie
Se tordaient de douleur.
Les tableaux ravivant leurs nuances eteintes?Aux reflets du foyer prenaient d'etranges teintes,
Et, d'un air curieux,?Comme des spectateurs aux loges d'un theatre,?Vieux portraits enfumes, pastels aux tons de platre,
Ouvraient tout grands leurs yeux.
Une tete de mort sur nature moulee?Se detachait en blanc, grimacante et pelee,
Sous un rayon blafard.?Je la vis s'avancer au bord de la console;?Ses machoires semblaient rechercher leur parole
Et ses yeux leur regard.
De ses orbites noirs ou manquaient les prunelles,?Jaillirent tout a coup de fauves etincelles
Comme d'un oeil vivant.?Une haleine passa par ses dents dechaussees...?Les rideaux a plis droits tombaient sur les croisees;
Ce n'etait pas le vent.
Faible comme ces voix que l'on entend en reve,?Triste comme un soupir des vagues sur la greve
J'entendis une voix.?Or, comme ce jour-la j'avais vu tant de choses,?Tant d'effets merveilleux dont j'ignorais les causes,
J'eus moins peur cette fois.
RAPHAEL.
Je suis le Raphael, le Sanzio, le grand maitre!?O frere, dis-le-moi, peux-tu me reconnaitre
Dans ce crane hideux??Car je n'ai rien parmi ces platres et ces masques,?Tous ces cranes luisants, polis comme des casques,
Qui me distingue d'eux.
Et pourtant c'est bien moi! Moi, le divin jeune homme,?Le roi de la beaute, la lumiere de Rome,
Le Raphael d'Urbin!?L'enfant aux cheveux bruns qu'on voit aux galeries,?Mollement accoude, suivre ses reveries,
La tete dans sa main.
O ma Fornarina! ma blanche bien aimee,?Toi qui dans un baiser pris mon ame pamee
Pour la remettre au ciel;?Voila donc ton amant, le beau peintre au nom d'ange,?Cette tete qui fait une grimace etrange:
Eh bien, c'est Raphael!
Si ton ombre endormie au fond de la chapelle?S'eveillait et venait a ma voix qui t'appelle,
Oh! je te ferais peur!?Que le marbre entr'ouvert sur ta tete retombe.?Ne viens pas! ne viens pas et garde dans ta tombe
Le reve de ton coeur.
Analyseurs damnes, abominable race,?Hyenes qui suivez le cortege a la trace
Pour deterrer le corps;?Aurez-vous bientot fait de declouer les bieres,?Pour mesurer nos os et peser nos poussieres;
Laissez dormir les morts!
Mes maitres, savez-vous, qui donc a pu le dire??Ce qu'on sent quand la scie avec ses dents dechire
Nos lambeaux palpitants.?Savez-vous si la mort n'est pas une autre vie,?Et si quand leur depouille a la tombe est ravie
Les aieux sont contents?
Ah! vous venez fouiller de vos ongles profanes?Nos tombeaux violes, pour y prendre nos cranes,
Vous etes bien hardis.?Ne craignez vous donc pas qu'un beau jour, pale et bleme,?Un trepasse se leve et vous dise: Anatheme!
Comme je vous le dis.
Vous imaginez donc, dans cette pourriture,?Surprendre les secrets de la mere nature
Et le travail de Dieu??Ce n'est pas par le corps qu'on peut comprendre l'ame.?Le corps n'est que l'autel, le genie est la flamme;
Vous eteignez le feu!
O mes Enfants-Jesus! O mes brunes madones!?O vous qui me devez vos plus fraiches couronnes,
Saintes du paradis!?Les savants font rouler mon crane sur la terre,?Et vous souffrez cela sans prendre le tonnerre,
Sans frapper ces maudits!
Il est donc vrai! Le ciel a perdu sa puissance.?Le Christ est mort, le siecle a pour Dieu, la science,
Pour foi, la liberte.?Adieu les doux parfums de la rose mystique;?Adieu l'amour; adieu la poesie antique;
Adieu sainte beaute!
Vos peintres auront beau, pour voir comme elle est faite,?Tourner entre leurs mains et retourner ma tete,
Mon secret est a moi.?Ils copieront mes tons, ils copieront mes poses,?Mais il leur manquera ce que j'avais, deux choses,
L'amour avec la foi!
Dites qui d'entre vous, fils de ce siecle infame,?Peut rendre saintement la beaute de la femme;
Aucun, helas! aucun.?Pour vos petits boudoirs, il faut des priapees;?Qui vous jette un regard, o mes vierges drapees,
O mes saintes! Pas un.
L'aiguille a fait son tour. Votre tache est finie,?Comme un pale vieillard le
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