La comedie de la mort | Page 8

Theophile Gaultier
fievre
Chaque nuit le baisait.
Ses yeux sans mouvement semblaient des yeux de verre
Ils n'avaient
rien des yeux d'un enfant de la terre,
Ni larmes ni regard.
Diamant enchasse dans sa morne prunelle

Brillait d'un eclat fixe, une froide etincelle.
C'etait bien un vieillard!
Comme l'arche d'un pont son dos faisait la voute,
Ses pieds endoloris,
tout gonfles par la goutte.
Chancelaient sous son poids.
Ses mains pales tremblaient; ainsi
tremblent les vagues,
Sous les baisers du Nord, et laissaient fuir leurs
bagues
Trop larges pour ses doigts.

Tout ce luxe, ce fard sur cette face creuse,
Formait une alliance
etrange et monstrueuse.
C'etait plus triste a voir
Et plus laid, qu'un cercueil chez des filles de
joie,
Qu'un squelette pare d'une robe de soie,
Qu'une vieille au miroir.
Confiant a la nuit son amoureuse plainte,
Il attendait devant une
fenetre eteinte,
Sous un balcon desert.
Nul front blanc ne venait s'appuyer au vitrage,

Nul soleil de beaute ne montrait son visage
Au fond du ciel ouvert.
Dis, que fais-tu donc la, vieillard, dans les tenebres,
Par une de ces
nuits ou les essaims funebres
S'envolent des tombeaux?
Que vas-tu donc chercher si loin, si tard, a
l'heure
Ou l'Ange de minuit au beffroi chante et pleure
Sans page et sans flambeaux?
Tu n'as plus l'age ou tout vous rit et vous accueille,
Ou la vierge
repand a vos pieds, feuille a feuille,
La fleur de sa beaute.
Et ce n'est plus pour toi que s'ouvrent les
fenetres;
Tu n'es bon qu'a dormir aupres de tes ancetres
Sous un marbre sculpte.
Entends-tu le hibou qui jette ses cris aigres?
Entends-tu dans les bois
hurler les grands loups maigres?
O vieillard sans raison!
Rentre, c'est le moment ou la lune reveille

Le vampire blafard sur sa couche vermeille;

Rentre dans ta maison.
Le vent moqueur a pris ta chanson sur son aile,
Personne ne t'ecoute,
et ta cape ruisselle
Des pleurs de l'ouragan...
Il ne me repond rien; dites quel est cet
homme
O mort, et savez-vous le nom dont on le nomme!
Cet homme, c'est don Juan.
VII.
DON JUAN.
Heureux adolescents, dont le coeur s'ouvre a peine
Comme une
violette a la premiere haleine
Du printemps qui sourit,
Ames couleurs de lait, frais buissons
d'aubepine
Ou, sous le pur rayon, dans la pluie argentine
Tout gazouille et fleurit.
O vous tous qui sortez des bras de votre mere
Sans connaitre la vie et
la science amere,
Et qui voulez savoir,
Poetes et reveurs, plus d'une fois, sans doute,

Aux lisieres des bois, en suivant votre route
Dans la rougeur du soir,
A l'heure enchanteresse, ou sur le bout des branches
On voit se
becqueter les tourterelles blanches
Et les bouvreuils au nid,
Quand la nature lasse en s'endormant soupire,

Et que la feuille au vent vibre comme une lyre
Apres le chant fini;

Quand le calme et l'oubli viennent a toutes choses
Et que le sylphe
rentre au pavillon des roses
Sous les parfums plie;
Emus de tout cela, pleins d'ardeurs inquietes

Vous avez souhaite ma liste et mes conquetes;
Vous m'avez envie
Les festins, les baisers sur les epaules nues,
Toutes ces voluptes a
votre age inconnues,
Aimable et cher tourment!
Zerbine, Elvire, Anna, mes Romaines
jalouses,
Mes beaux lis d'Albion, mes brunes Andalouses,
Tout mon troupeau charmant.
Et vous vous etes dit par la voix de vos ames:
Comment faisais-tu
donc pour avoir plus de femmes
Que n'en a le sultan?
Comment faisais-tu donc, malgre verroux et
grilles,
Pour te glisser au lit des belles jeunes filles,
Heureux, heureux don Juan!
Conquerant oublieux, une seule de celles
Que tu n'inscrivais pas, une
entre tes moins belles
Ta plus modeste fleur,
Oh! combien et longtemps nous l'eussions
adoree!
Elle aurait embelli, dans une urne doree,
L'autel de notre coeur.
Elle aurait parfume, cette humble paquerette
Dont sous l'herbe ton
pied a fait ployer la tete,
Notre pale printemps;
Nous l'aurions recueillie, et de nos pleurs
trempee,
Cette etoile aux yeux bleus, dans le bal echappee

A tes doigts inconstants.
Adorables frissons de l'amoureuse fievre,
Ramiers qui descendez du
ciel sur une levre,
Baisers acres et doux,
Chutes du dernier voile, et vous cascades
blondes,
Cheveux d'or, inondant un dos brun de vos ondes
Quand vous connaitrons-nous?
Enfant, je les connais tous ces plaisirs qu'on reve;
Autour du tronc
fatal l'antique serpent d'Eve
Ne s'est pas mieux tordu.
Aux yeux mortels, jamais dragon a tete
d'homme
N'a d'un plus vif eclat fait reluire la pomme
De l'arbre defendu.
Souvent, comme des nids de fauvettes farouches,
Tout prets a
s'envoler, j'ai surpris sur des bouches
Des nids d'aveux tremblants,
J'ai serre dans mes bras de ravissants
fantomes,
Bien des vierges en fleur m'ont verse les purs baumes
De leurs calices blancs.
Pour en avoir le mot, courtisanes rusees,
J'ai presse, sous le fard, vos
levres plus usees
Que le gres des chemins.
Egouts impurs, ou vont tous les ruisseaux
du monde,
J'ai plonge sous vos flots; et toi, debauche immonde,
J'ai vu tes lendemains.
J'ai vu les plus purs fronts rouler apres l'orgie
Parmi les flots de vin,
sur la nappe rougie;

J'ai vu les fins de bal
Et la sueur des bras, et la paleur
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