La comedie de la mort | Page 7

Theophile Gaultier
souffle
Pour un soupir d'amour?
Quel sable, quel corail a ramene ta sonde?
As-tu touche le fond des
sagesses du monde?

En puisant a ton puits,
Nous as-tu dans ton seau fait monter toute nue

La blanche Verite jusqu'ici meconnue?
Arbre, ou sont donc tes fruits?
FAUST.
J'ai plonge dans la mer sous le dome des ondes;
Les grands poissons
jetaient leurs ondes vagabondes
Jusques au fond des eaux;
Leviathan fouettait l'abime de sa queue,

Les Syrenes peignaient leur chevelure bleue
Sur les bancs de coraux.
La seiche horrible a voir, le polype difforme,
Tendaient leurs mille
bras, le caiman enorme
Roulait ses gros yeux verts;
Mais je suis remonte, car je manquais
d'haleine;
C'est un manteau bien lourd pour une epaule humaine
Que le manteau des mers!
Je n'ai pu de mon puits tirer que de l'eau claire;
Le Sphinx interroge
continue a se taire;
Si chauve et si casse,
Helas! j'en suis encore a peut-etre, et que sais-je?

Et les fleurs de mon front ont fait comme une neige
Aux lieux ou j'ai passe.
Malheureux que je suis d'avoir sans defiance
Mordu les pommes d'or
de l'arbre de science!
La science est la mort.
Ni l'upa de Java, ni l'euphorbe d'Afrique,
Ni
le mancenilier au sommeil magnetique.

N'ont un poison plus fort.
Je ne crois plus a rien. J'allais, de lassitude,
Quand vous etes venus,
renoncer a l'etude
Et briser mes fourneaux.
Je ne sens plus en moi palpiter une fibre,

Et comme un balancier seulement mon coeur vibre
A mouvements egaux.
Le neant! Voila donc ce que l'on trouve au terme!
Comme une tombe,
un mort, ma cellule renferme
Un cadavre vivant.
C'est pour arriver la que j'ai pris tant de peine,

Et que j'ai sans profit, comme on fait d'une graine,
Seme mon ame au vent.
Un seul baiser, o douce et blanche Marguerite,
Pris sur ta bouche en
fleur, si fraiche et si petite,
Vaut mieux que tout cela.
Ne cherchez pas un mot qui n'est pas dans
le livre;
Pour savoir comme on vit n'oubliez pas de vivre.
Aimez, car tout est la!
VI.
La spirale sans fin dans le vide s'enfonce;
Tout autour, n'attendant
qu'une fausse reponse
Pour vous pomper le sang,
Sur leurs grands piedestaux semes
d'hieroglyphes,
Des Sphinx aux seins pointus, aux doigts armes de
griffes,
Roulent leur oeil luisant.

En passant devant eux, a chaque pas l'on cogne
Des os demi ronges,
des restes de charogne,
Des cranes sonnant creux.
On voit de chaque trou sortir des jambes
raides,
Des apparitions monstrueusement laides
Fendent l'air tenebreux.
C'est ici que l'enigme est encor sans Oedipe,
Et qu'on attend toujours
le rayon qui dissipe
L'antique obscurite.
C'est ici que la mort propose son probleme,
Et
que le voyageur, devant sa face bleme
Recule epouvante.
Ah que de nobles coeurs et que d'ames choisies,
Vainement, a travers
toutes les poesies,
Toutes les passions,
Ont poursuivi le mot de la page fatale
Dont les
os gisent la sans pierre sepulcrale
Et sans inscriptions!
Combien, don Juans obscurs, ont leurs listes remplies
Et qui
cherchent encor! Que de levres palies
Sous les plus doux baisers,
Et qui n'ont jamais pu se joindre a leur
chimere!
Que de desirs au ciel sont remontes de terre
Toujours inapaises!
Il est des ecoliers qui voudraient tout connaitre,
Et qui ne trouvent pas
pour valet et pour maitre
De Mephistopheles.
Dans les greniers, il est des Faust sans
Marguerite
Dont l'enfer ne veut pas et que Dieu desherite;

Tous ceux-la, plaignez-les!
Car ils souffrent un mal, helas! inguerissable;
Ils melent une larme a
chaque grain de sable
Que le temps laisse choir.
Leur coeur, comme un orfraie au fond
d'une ruine,
Rale piteusement dans leur maigre poitrine
L'hymne du desespoir.
Leur vie est comme un bois a la fin de l'automne,
Chaque souffle qui
passe arrache a leur couronne
Quelque reste de vert.
Et leurs reves en pleurs s'en vont fendant les
nues,
Silencieux, pareils a des files de grues
Quand approche l'hiver.
Leurs tourments ne sont point redits par le poete;
Martyrs de la
pensee, ils n'ont pas sur leur tete
L'aureole qui luit;
Par les chemins du monde ils marchent sans
cortege,
Et sur le sol glace tombent comme la neige
Qui descend dans la nuit.
Comme je m'en allais, ruminant ma pensee,
Triste, sans dire mot,
sous la voute glacee,
Par le sentier etroit;
S'arretant tout a coup, ma compagne blafarde

Me dit en etendant sa main frele: Regarde
Du cote de mon doigt.
C'etait un cavalier avec un grand panache,
De longs cheveux boucles,
une noire moustache

Et des eperons d'or;
Il avait le manteau, la rapiere et la fraise,
Ainsi
qu'un raffine du temps de Louis treize,
Et semblait jeune encor.
Mais en regardant bien, je vis que sa perruque
Sous ses faux cheveux
bruns laissait pres de sa nuque
Passer des cheveux blancs;
Son front, pareil au front de la mer
soucieuse,
Se ridait a longs plis; sa joue etait si creuse
Que l'on comptait ses dents.
Malgre le fard epais dont elle etait platree,
Comme un marbre couvert
d'une gaze pourpree
Sa paleur transpercait;
A travers le carmin qui colorait sa levre,

Sous son rire d'emprunt on voyait que la
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