La comedie de la mort | Page 6

Theophile Gaultier

squelettes,
Un plus vaste fouillis d'ossements et de tetes
Aux ruines meles.
L'on en voit qui n'ont pas d'epitaphe a leurs tombes,
Et de leurs
trepasses font comme aux catacombes
Un grand entassement;
Dont le coeur est un champ uni, sans croix ni
pierres,
Et que l'aveugle Mort de diverses poussieres
Remplit confusement.
D'autres, moins oublieux, ont des caves funebres
Ou sont ranges leurs
morts, comme celles des Guebres
Ou des Egyptiens;
Tout autour de leur coeur sont debout les momies,

Et l'on y reconnait les figures blemies
De leurs amours anciens.
Dans un pur souvenir chastement embaumee
Ils gardent au fond
d'eux l'ame qu'ils ont aimee;
Triste et charmant tresor!
La mort habite en eux au milieu de la vie;

Ils s'en vont poursuivant la chere ombre ravie
Qui leur sourit encor.

Ou ne trouve-t-on pas, en fouillant, un squelette?
Quel foyer reunit la
famille complete
En cercle chaque soir?
Et quel seuil, si riant et si beau qu'il puisse etre,

Pour ne pas revenir n'a vu sortir le maitre
Avec un manteau noir?
Cette petite fleur, qui, toute rejouie,
Fait baiser au soleil sa bouche
epanouie,
Est fille de la mort.
En plongeant sous le sol, peut-etre sa racine,

Dans quelque cendre chere a pris l'odeur divine
Qui vous charme si fort.
O fiances d'hier, encore amants, l'alcove
Ou nichent vos amours, a
quelque vieillard chauve
A servi comme a vous;
Avant vos doux soupirs elle a redit son rale,

Et son souvenir mele une odeur sepulcrale
A vos parfums d'epoux!
Ou donc poser le pied qu'on ne foule une tombe?
Ah! lorsque l'on
prendrait son aile a la colombe,
Ses pieds au daim leger;
Qu'on irait demander au poisson sa nageoire,

On trouvera partout l'hotesse blanche et noire
Prete a vous heberger.
Cessez donc, cessez donc, o vous, les jeunes meres
Bercant vos fils
aux bras des riantes chimeres,
De leur rever un sort;
Filez-leur un suaire avec le lin des langes.

Vos fils, fussent-ils purs et beaux comme les anges,

Sont condamnes a mort!
V.
A travers les soupirs les plaintes et le rale
Poursuivons jusqu'au bout
la funebre spirale
De ses detours maudits.
Notre guide n'est pas Virgile le poete,
La
Beatrix vers nous ne penche pas la tete
Du fond du paradis.
Pour guide nous avons une vierge au teint pale
Qui jamais ne recut le
baiser d'or du hale
Des levres du soleil.
Sa joue est sans couleur et sa bouche bleuatre,

Le bouton de sa gorge est blanc comme l'albatre
Au lieu d'etre vermeil.
Un souffle fait plier sa taille delicate,
Ses bras, plus transparents que
le jaspe ou l'agate,
Pendent languissamment;
Sa main laisse echapper une fleur qui se
fane,
Et, ployee a son dos, son aile diaphane
Reste sans mouvement.
Plus sombres que la nuit, plus fixes que la pierre,
Sous leur sourcil
d'ebene et leur longue paupiere
Luisent ses deux grands yeux,
Comme l'eau du Lethe qui va muette et
noire,
Ses cheveux debordes baignent sa chair d'ivoire
A flots silencieux.
Des feuilles de cigue avec des violettes
Se melent sur son front aux

blanches bandelettes,
Chaste et simple ornement;
Quant au reste, elle est nue, et l'on rit et
l'on tremble
En la voyant venir; car elle a tout ensemble
L'air sinistre et charmant.
Quoiqu'elle ait mis le pied dans tous les lits du monde
Sous sa
blanche couronne elle reste infeconde
Depuis l'eternite.
L'ardent baiser s'eteint sur la levre fatale
Et
personne n'a pu cueillir la rose pale
De sa virginite.
C'est par elle qu'on pleure et qu'on se desespere:
C'est elle qui ravit au
giron de la mere
Son doux et cher souci;
C'est elle qui s'en va se coucher, la jalouse,

Entre les deux amants, et qui veut qu'on l'epouse
A son tour elle aussi.
Elle est amere et douce, elle est mechante et bonne;
Sur chaque front
illustre elle met la couronne
Sans peur ni passion.
Amere aux gens heureux et douce aux
miserables,
C'est la seule qui donne aux grands inconsolables
Leur consolation.
Elle prete des lits a ceux qui, sur le monde,
Comme le Juif errant, font
nuit et jour leur ronde
Et n'ont jamais dormi.
A tous les parias elle ouvre son auberge,
Et
recoit aussi bien la Phryne que la vierge,

L'ennemi que l'ami.
Sur les pas de ce guide au visage impassible,
Nous marchons en
suivant la spirale terrible
Vers le but inconnu,
Par un enfer vivant sans caverne ni gouffre,

Sans bitume enflamme, sans mers aux flots de soufre,
Sans Belzebuth cornu.
Voici contre un carreau comme un reflet de lampe
Avec l'ombre d'un
homme. Allons, montons la rampe,
Approchons et voyons.
Ah! c'est toi, docteur Faust! Dans la meme
posture
Du sorcier de Rembrandt sur la noire peinture
Aux flamboyants rayons.
Quoi! tu n'as pas brise tes fioles d'alchimiste,
Et tu penches toujours
ton grand front chauve et triste
Sur quelque manuscrit!
Dans ton livre, aux lueurs de ce soleil
mystique,
Quoi! tu cherches encor le mot cabalistique
Qui fait venir l'Esprit.
Eh bien! Scientia, ta maitresse adoree
A tes chastes desirs s'est-elle
enfin livree?
Ou, comme au premier jour,
N'en es-tu qu'a baiser sa robe ou sa
pantoufle,
Ta poitrine asthmatique a-t-elle encor du
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 48
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.