La comedie de la mort | Page 5

Theophile Gaultier
vos ongles profanes
Nos tombeaux violes,
pour y prendre nos cranes,
Vous etes bien hardis.
Ne craignez vous donc pas qu'un beau jour,
pale et bleme,
Un trepasse se leve et vous dise: Anatheme!
Comme je vous le dis.

Vous imaginez donc, dans cette pourriture,
Surprendre les secrets de
la mere nature
Et le travail de Dieu?
Ce n'est pas par le corps qu'on peut comprendre
l'ame.
Le corps n'est que l'autel, le genie est la flamme;
Vous eteignez le feu!
O mes Enfants-Jesus! O mes brunes madones!
O vous qui me devez
vos plus fraiches couronnes,
Saintes du paradis!
Les savants font rouler mon crane sur la terre,

Et vous souffrez cela sans prendre le tonnerre,
Sans frapper ces maudits!
Il est donc vrai! Le ciel a perdu sa puissance.
Le Christ est mort, le
siecle a pour Dieu, la science,
Pour foi, la liberte.
Adieu les doux parfums de la rose mystique;

Adieu l'amour; adieu la poesie antique;
Adieu sainte beaute!
Vos peintres auront beau, pour voir comme elle est faite,
Tourner
entre leurs mains et retourner ma tete,
Mon secret est a moi.
Ils copieront mes tons, ils copieront mes poses,

Mais il leur manquera ce que j'avais, deux choses,
L'amour avec la foi!
Dites qui d'entre vous, fils de ce siecle infame,
Peut rendre saintement
la beaute de la femme;
Aucun, helas! aucun.
Pour vos petits boudoirs, il faut des priapees;

Qui vous jette un regard, o mes vierges drapees,

O mes saintes! Pas un.
L'aiguille a fait son tour. Votre tache est finie,
Comme un pale
vieillard le siecle a l'agonie
Se lamente et se tord.
L'ange du jugement embouche la trompette
Et
la voix va crier: Que justice soit faite,
Le genre humain est mort!
Je n'entendis plus rien. L'aube aux levres d'opale,
Tout endormie
encor, sur le vitrage pale
Jetait un froid rayon,
Et je vis s'envoler, comme on voit quelque
orfraye,
Que sous l'arceau gothique une lueur effraye,
L'etrange vision!
LA MORT DANS LA VIE.
IV.
La mort est multiforme, elle change de masque
Et d'habit plus
souvent qu'une actrice fantasque;
Elle sait se farder,
Et ce n'est pas toujours cette maigre carcasse,

Qui vous montre les dents et vous fait la grimace
Horrible a regarder.
Ses sujets ne sont pas tous dans le cimetiere,
Ils ne dorment pas tous
sur des chevets de pierre
A l'ombre des arceaux;
Tous ne sont pas vetus de la pale livree,
Et
la porte sur tous n'est pas encor muree
Dans la nuit des caveaux.

Il est des trepasses de diverse nature,
Aux uns la puanteur avec la
pourriture,
Le palpable neant,
L'horreur et le degout, l'ombre profonde et noire,

Et le cercueil avide entr'ouvrant sa machoire
Comme un monstre beant.
Aux autres, que l'on voit sans qu'on s'en epouvante
Passer et repasser
dans la cite vivante
Sous leur linceul de chair,
L'invisible neant, la mort interieure
Que
personne ne sait, que personne ne pleure,
Meme votre plus cher.
Car, lorsque l'on s'en va dans les villes funebres
Visiter les tombeaux
inconnus ou celebres,
De marbre ou de gazon;
Qu'on ait ou qu'on n'ait pas quelque paupiere
amie
Sous l'ombrage des ifs a jamais endormie,
Qu'on soit en pleurs ou non,
On dit: Ceux-la sont morts. La mousse etend son voile
Sur leurs noms
effaces; le ver file sa toile
Dans le trou de leurs yeux;
Leurs cheveux ont perce les planches de
la biere,
A cote de leurs os, leur chair tombe en poussiere
Sur les os des aieux.
Leurs heritiers, le soir, n'ont plus peur qu'ils reviennent; C'est a peine a
present si leurs chiens s'en souviennent.
Enfumes et poudreux,
Leurs portraits adores trainent dans les
boutiques,
Leurs jaloux d'autrefois font leurs panegyriques;

Tout est fini pour eux.
L'ange de la douleur, sur leur tombe en priere,
Est seul a les pleurer
de ses larmes de pierre.
Comme le ver leur corps,
L'oubli ronge leur nom avec sa lune sourde;

Ils ont pour draps de lit six pieds de terre lourde.
Ils sont morts! et bien morts!
Et peut-etre une larme a votre ame echappee
Sur leur cendre, de pluie
et de neige trempee,
Filtre insensiblement.
Qui les va rejouir dans leur triste demeure;
Et
leur coeur desseche, comprenant qu'on les pleure,
Retrouve un battement.
Mais personne ne dit, voyant un mort de l'ame:
Paix et repos sur toi!
L'on refuse a la lame
Ce qu'on donne au fourreau;
L'on pleure le cadavre et l'on panse la
plaie,
L'ame se brise et meurt sans que nul s'en effraie
Et lui dresse un tombeau.
Et cependant il est d'horribles agonies
Qu'on ne saura jamais; des
douleurs infinies
Que l'on n'apercoit pas.
Il est plus d'une croix au calvaire de l'ame

Sans l'aureole d'or, et sans la blanche femme
Echevelee au bas.
Toute ame est un sepulcre ou gisent mille choses;
Des cadavres
hideux dans des figures roses

Dorment ensevelis.
On retrouve toujours les larmes sous le rire,
Les
morts sous les vivants, et l'homme est a vrai dire
Une Necropolis.
Les tombeaux deterres des vieilles cites mortes,
Les chambres et les
puits de la Thebe aux cent portes
Ne sont pas si peuples,
On n'y rencontre pas de plus affreux
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