La cathédrale de Strasbourg pendant la Révolution. (1789-1802) | Page 8

Rodolphe Reuss
de toute qualité, de
tout culte, confondus dans les bras les uns des autres, les coeurs aussi
vivement affectés. Ce ne fut qu'au milieu des sanglots que les citoyens
purent s'écrier: Vive la Nation, Vive le Roi, Vive la Constitution, notre
Maire et la Municipalité!"
C'est au milieu de l'enthousiasme trop passager de cette scène
fraternelle que le cortège, suivi par des milliers de citoyens, se remit en
marche pour se rendre à la Cathédrale, au son de toutes les cloches de
la ville, au bruit de l'artillerie de la place, à travers les rangs de la garde
nationale qui formait la haie le long des rues et présentait les armes, en
battant aux champs. Le suisse et le bedeau de la Cathédrale vinrent
recevoir les autorités à la grande porte de la nef et les menèrent aux
bancs préparés devant la chaire, où les officiers municipaux et les
notables prirent place, tandis que les détachements de la garde nationale
se rangeaient sur les bas-côtés et qu'entre eux se groupaient les
orphelins, les enfants trouvés, les pensionnaires de la maison des
pauvres des différents cultes. "Un peuple immense" remplissait le reste
de l'église. M. l'abbé de Kentzinger, prêtre du diocèse de Strasbourg et
secrétaire de la légation de France à la cour électorale de Trèves, monte
alors en chaire et prononce un discours sur ce verset du cent
quarante-troisième psaume: "Bienheureux est le peuple dont Dieu est le
Seigneur!" Ce qui caractérise cette homélie à la fois religieuse et
politique, ce qui fait que l'on doit s'y arrêter un instant, c'est le souffle
patriotique qui l'anime, c'est l'affirmation répétée de la nécessité de
l'accord entre la religion et la loi civile, c'est l'assurance donnée au
maire que "tous les citoyens de la croyance de l'orateur" sauront
reconnaître son zèle, et apprécier ses talents "avec autant

d'empressement que si vous étiez né dans notre Eglise". "Il existera
parmi nous, j'aime à le croire, un échange mutuel de franchise, de
loyauté, de confiance, et quand il s'agira du salut de la patrie, nous
penserons tous de même." L'orateur terminait en insistant sur le respect
dû à la religion, mère de toutes les vertus. "Nous lui conserverons,
s'écriait-il, la majesté et le respect que les peuples les plus éclairés se
sont fait une gloire de lui accorder; en un mot, nous serons chrétiens,
frères, amis. Français, nous crierons tous: Vive la Nation, vive la Loi,
vive le Roi!" On ne pouvait parler en termes plus convenables et même
plus chaleureux, dans une église catholique, en une pareille occurence,
et rien ne nous autorise à douter de la sincérité de l'orateur au moment
où il faisait entendre ces appels à la concorde et au respect des choses
les plus respectables. Nous apprenons cependant, par une note du
procès-verbal officiel, qu'à ce moment déjà, des fidèles, "en très petit
nombre, à la vérité et d'une conscience plus que timorée" (ce sont les
propres expressions de l'abbé de Kentzinger) avaient désapprouvé le cri
final du prédicateur, estimant "que la maison du Seigneur devait
retentir uniquement de ses louanges". Aussi celui-ci dut-il ajouter une
note apologétique au bas de son discours pour expliquer à ces
mécontents que "la majesté de notre Seigneur Jésus-Christ ne pouvait
être blessée par l'expression des voeux que forme en sa présence, pour
la prospérité publique, tout un peuple assemblé. "N'est-ce pas à lui, dit
l'orateur, que ces voeux sont adressés? N'est-ce point à lui encore que
j'ai demandé ces bénédictions? Oui, ces sentiments étaient dans mon
coeur et je croirai toujours rendre un hommage agréable à la divinité
quand je publierai hautement et en tous lieux mon amour pour la
Nation française, mon obéissance à la Loi, mon profond respect pour le
Roi et mon désir ardent de le voir heureux; c'est l'Evangile surtout qui
m'a rendu bon citoyen".
Ce cri, dont s'étaient offusqués quelques-uns des auditeurs, mille fois
répété par les voix de la foule, "retentit jusqu'aux voûtes de ce superbe
édifice, de même que celui de: Vive la Constitution!" Puis le maire et
ses nouveaux collaborateurs quittèrent leur banc et montèrent au choeur,
où le maître des cérémonies les installa sur des bancs couverts de
tapisseries. "M. le maire, dit gravement le procès-verbal, avait le
fauteuil et le carreau". Les membres du Grand-Chapitre et du

Grand-Choeur avaient pris place dans leurs stalles armoriées; près
d'eux se tenaient les chapitres des collégiales de Saint-Pierre-le-Vieux
et de Saint-Pierre-le-Jeune; plus en arrière le clergé des paroisses et les
communautés religieuses. Le commandant de Strasbourg, les officiers
de la garnison, les professeurs des deux Universités strasbourgeoises
faisaient face au Conseil de la Commune, sur la gauche du choeur.
C'est en présence de cette imposante assemblée, où les fidèles se
confondaient pour la première fois avec les hérétiques, que le Te Deum
fut entonné par le prince
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