la vente des biens nationaux,
comme ayant été sécularisés dès le temps de la Réforme. Aussi, quand
on dut procéder, en février 1790, aux premières élections municipales,
d'après les lois édictées par l'Assemblée Nationale, on put constater
déjà les fruits de cet antagonisme à la fois politique et religieux. Le
parti libéral modéré présentait comme maire au suffrage des électeurs
le commissaire du roi, Frédéric de Dietrich, qui, depuis le mois de
juillet 1789, se montrait infatigable à maintenir l'ordre public, habile à
ménager les transitions nécessaires et se prononçait pour la fusion
complète des dissidences locales dans un même sentiment de
dévouement à la grande patrie. Cette candidature fut vivement
combattue par le parti catholique; l'un de ses chefs, le baron de
Schauenbourg, essaya même de faire déclarer Dietrich inéligible,
comme n'ayant point résidé assez longtemps à Strasbourg. D'autres
membres influents du parti, l'abbé Rumpler, le fantastique auteur de la
Tonnéide et de l'_Histoire véritable de la mort d'un chanoine qui vit
encore_; Ditterich, professeur de droit canon à l'Université catholique;
le médecin Lachausse, s'étaient employés, paraît-il, à la même besogne.
A la candidature de Dietrich ils opposaient celle de l'ex-ammeister
Poirot, très habilement choisie. Il pouvait symboliser en effet l'ancien
régime local, encore cher à bien des coeurs, sans cependant appartenir
aux familles régnantes proprement dites et sans éveiller par suite les
ressentiments populaires. Bon catholique, comme il le prouva bientôt,
on savait qu'on pouvait compter sur lui dans les crises futures, qui déjà
venaient assombrir l'horizon. Aussi le scrutin du 8 février ne donna-t-il
que 3312 suffrages à Dietrich, tandis que 2286 voix se portèrent sur le
nom de Poirot. On était loin de l'unanimité des suffrages qui se serait
manifestée sans doute, si le vote avait eu lieu six mois auparavant. La
liste tout entière des officiers municipaux et des notables, qui, d'après
l'organisation nouvelle, constituaient le Conseil général de la commune,
était étrangement panachée et, dans son ensemble, donnait entière
satisfaction aux modérés de toutes les nuances, car elle renfermait
l'état-major du futur parti constitutionnel, avec une prédominance assez
sensible de l'élément catholique. Pour s'en assurer, on n'a qu'à parcourir
la liste des élus, où figuraient, par exemple, à côté de Poirot, François
Brunon de Humbourg, syndic du Grand-Chapitre; François-George
Ditterich, professeur de droit canon; François-Antoine Koegelin, curé
de Saint-Etienne; Christophe-Louis Daudet, receveur de l'OEuvre
Notre-Dame; François-Louis Frischhelt, receveur du Grand-Chapitre;
Joseph-Ulrich Zaiguélius, curé de Saint-Pierre-le-Vieux;
François-Louis Rumpler, chanoine, sans compter d'autres noms connus
encore aujourd'hui, les Zaepffel, les Kentzinger, les Hervé, etc. Sur les
cinquante-huit noms de cette liste, trente et un au moins appartiennent à
des catholiques; mais cette imposante majorité n'était qu'apparente. Elle
allait se diviser, presque au début, en deux fractions de plus en plus
hostiles. L'une comprendra des hommes très modérés, pour ne pas dire
très tièdes dans leur foi et plus attachés à leurs convictions politiques
qu'à leurs obligations religieuses; l'autre les représentants militants de
la doctrine ecclésiastique, décidés à lui rester fidèles, même dans son
conflit avec le pouvoir civil.
III.
Mais avant d'entrer dans le récit de ces conflits déplorables qui devaient
si profondément affecter le sort des édifices religieux catholiques de
notre ville et tout particulièrement celui de la Cathédrale, il nous reste
encore quelques instants de calme et de paix publique, où nous
pourrons rencontrer le vieux sanctuaire du moyen âge sous un autre
aspect que celui d'une citadelle prise d'assaut et occupée par une
garnison étrangère. La municipalité nouvelle, sortie du scrutin de
février, avait décidé de célébrer son entrée en fonctions par des
cérémonies civiles et religieuses, et d'appeler sur sa gestion future les
bénédictions divines, par la bouche des prédicateurs de tous les cultes.
Aussi la voyons-nous, à la date du 18 mars, se rendre en cortège à
l'Hôtel-de-Ville, pour y recevoir les pouvoirs des mains du Magistrat
intérimaire, resté jusqu'à ce jour en fonctions. De là le cortège officiel
se dirige vers la place d'Armes, où l'on avait érigé une immense estrade
et que couvrait une foule compacte. C'est devant cette masse
d'auditeurs que M. de Dietrich, après avoir prêté le serment civique,
ainsi que ses collègues, fit un appel chaleureux à la concorde de tous
les bons citoyens. "Sacrifions, leur dit-il, tout esprit de parti;
réunissons-nous pour toujours! Que la France apprenne que les
Strasbourgeois ne forment qu'une seule famille de citoyens;
embrassons-nous comme des frères. Je vais le premier vous en donner
l'exemple. On verra que nous n'avons plus qu'un même coeur, que nous
sommes indissolublement liés par les liens sacrés de la liberté et du
patriotisme." Et le procès-verbal officiel de la fête continue en ces
termes: "Le respectable maire s'est alors livré à la douce effusion de
son coeur; à l'instant même, chacun éprouvant le même sentiment, on a
vu le spectacle touchant des citoyens de tout âge,
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