La cathédrale de Strasbourg pendant la Révolution. (1789-1802) | Page 9

Rodolphe Reuss
François de Hohenlohe, chanoine, comte
officiant, et chanté à grands choeurs par l'orchestre de la Cathédrale.
Combien, parmi tous les assistants de cette cérémonie religieuse, sans
précédent dans l'histoire de Strasbourg, se doutaient-ils que ce serait
aussi la dernière où se manifesterait de la sorte l'entente cordiale de
tous les citoyens? Et cependant quelques mois à peine les séparaient du
moment fatal où la discorde allait diviser les esprits et envenimer ces
mêmes coeurs qui s'épanchaient à cette heure en de douces espérances,
destinées à n'être que des illusions fugitives. Dans l'adresse à
l'Assemblée Nationale, proposée par Dietrich à la foule assemblée sur
la place d'Armes et votée d'acclamation, il était dit: "Réunis sur cette
place où nos pères ne se donnèrent qu'à regret à la France, nous venons
de cimenter par nos serments notre union avec elle. Nous avons juré
d'obéir avec respect aux lois que vous aurez décrétées et qui auront été
sanctionnées ou acceptées par le Roi. Nous avons juré et nous jurons de
verser jusqu'à la dernière goutte de notre sang pour maintenir la
Constitution. Si la ville de Strasbourg n'a pas eu la gloire de donner, la
première, l'exemple aux autres villes du royaume, elle aura du moins
celle, d'être, par l'énergie du patriotisme de ses habitants, un des
boulevards les plus forts de la liberté française!"
Dans la séance du 30 mars M. Schwendt déposa cette adresse sur le
bureau de l'Assemblée Nationale, qui "applaudit à l'expression des
sentiments et au patriotisme du maire, officiers municipaux et habitants
de la ville de Strasbourg et par mention faite à son procès-verbal, en a
témoigné sa satisfaction." Qui donc aurait pu se douter que l'accord
entre eux n'était point parfait? Qui donc aurait osé soutenir alors que
beaucoup d'entre les citoyens de Strasbourg deviendraient bientôt
infidèles à leur serment de respect aux lois décrétées par l'Assemblée

Nationale, et que cette dernière aurait sous peu des résolutions bien
différentes à prendre au sujet de la "patriotique" cité? Mais la
Constituante n'avait point encore rendu le décret malencontreux qui
devait ébranler, plus que tout autre, la royauté constitutionnelle et saper
par la base la partie politique de son oeuvre; et d'ailleurs, nul, parmi les
plus sagaces observateurs des événements du jour, ne pouvait se douter
alors des conséquences incalculables qu'aurait pour la France et la
monarchie la Constitution civile du clergé.

IV.
La sagesse des nations a proclamé depuis des siècles "qu'à chaque jour
suffit sa tâche", et ce précepte s'applique aux peuples tout autant qu'aux
individus. Malheur aux pouvoirs souverains, qu'ils s'appellent
monarques absolus ou Conventions républicaines, s'ils prétendent
doubler les étapes et devancer le développement naturel des masses, en
les entraînant de force vers un but peut-être désirable, mais qu'ils sont
encore seuls à désirer atteindre! Les intentions les plus pures ne les
préserveront ni des désordres ni même de la révolte des foules qu'ils
violentent, et dont la résistance provoquera chez eux-mêmes de
nouvelles violences. Ce fut là cependant la faute grave que commit
l'Assemblée Nationale. Dans sa hâte à proclamer partout des principes
abstraits et surtout à les mettre en pratique, elle ne se rendit pas un
compte suffisant des dangers qu'elle se créait elle-même, des ferments
de discorde qu'elle semait à pleines mains, et qui rendirent impossible
en France l'organisation d'un régime plus stable, librement accepté par
la majorité des citoyens du pays.
Un mémorable et tout récent exemple aurait dû cependant ouvrir les
yeux aux législateurs de la Constituante. L'empereur Joseph II, le plus
novateur et le plus humain des princes de son temps, venait de mourir,
le coeur brisé, poursuivi jusqu'à son heure dernière par les accusations
mensongères et les cris de haine de ses sujets, qu'il avait tâché pourtant
de rendre heureux. Et c'étaient les privilégiés de l'Eglise et de la
noblesse qui avaient réussi à soulever les masses aveugles contre leur
bienfaiteur. La tâche de mettre à exécution les décrets du 4 août et du 2

novembre 1789 était déjà bien délicate, en dehors de toute complication
nouvelle. Priver une aristocratie puissante de ses privilèges séculaires,
saisir aux mains du clergé de France ces millions de biens-fonds qu'il
possédait alors, c'était une de ces entreprises politiques qui absorbent, à
elles seules, toute l'énergie et toute l'habileté des premiers hommes
d'Etat d'un royaume. Elle était réalisable pourtant, parce que les ordres
privilégiés étaient détestés ou craints par la majorité du pays, et parce
que tout le monde, au sein de cette majorité, pouvait se rendre compte
que c'était la lésion de ses intérêts matériels surtout qui soulevait les
clameurs de la minorité dépouillée par la législation nouvelle. Encore
aurait-il fallu s'appliquer, pour réussir, à bien expliquer aux masses
rurales, restées très accessibles à l'influence du clergé, que la religion
n'était pas en jeu dans la mise en circulation des vastes domaines,
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