il se produisit, en pleine ville, une chose étonnante. C'est
qu'aussitôt les bessonnes présentées aux fonts baptismaux, les cloches
sonnèrent à toute volée, bien que les pauvres parents n'eussent point eu
le moyen de faire les frais du carillon, ce qui causa un grand
émerveillement et attira un fort concours d'oisifs à l'entour de l'église.
Or, lorsque le cortège sortit, ne voilà-t-il pas que des gamins se
trouvèrent là, assez proprement habillés, ma foi, et qui semaient des
dragées à grands gestes, comme on répand le blé dans les sillons, et ces
gamins tiraient ces sucreries de corbeilles toutes neuves, profondes, et
que nulle prodigalité n'épuisait.
On supposa que les bûcherons avaient de puissants protecteurs dans
l'endroit; cependant on ne les vit ni monter au château, ni franchir le
porche d'aucun hôtel opulent. Ils allèrent tout simplement à l'auberge
du Cheval Blanc, mangèrent et burent en gens économes, de quoi ils
eurent vif regret, à la vérité, quand, voulant solder leur écot, ils
apprirent que leur repas était payé.
Je vous laisse à penser si tout cela donna lieu à facéties de la part des
bûcherons incrédules qui voulaient bien admettre quelque tour de
sorcellerie, quoiqu'ils n'eussent point vu de sorcier, mais qui refusaient
d'admettre la fée que cependant ils avaient tous vue, touchée et
entendue.
II
LA SURPRISE
Que la mémoire des hommes est donc courte!
Nos gens n'avaient pas fait quatre lieues sur le chemin de
retour--songez que l'on se relayait pour porter les marmots--et juré une
bonne douzaine de fois le nom du Seigneur, à cause du sol rocailleux,
des éboulis et des ornières profondes, qu'aucun d'eux ne se souvenait de
ce qui était arrivé durant le séjour à la ville, ni de la discussion sur la
croyance à la Fée ou à la sorcellerie, ni même enfin de la Fée!
Ils pensaient à la fatigue de leurs membres et à la nuit qui, à leur gré,
tombait un peu trop vite. C'est qu'il leur allait falloir tantôt se diriger
sous bois.
La nature humaine est curieuse aussi, reconnaissons-le! Voilà de
pauvres hommes ruraux à qui est échue aujourd'hui l'aubaine d'un
secours extraordinaire: ne point avoir à solder les frais de leur petite
ripaille! Eh bien, ils se trouvent, les ténèbres tombées, dans un chemin
malaisé: pas un d'eux à qui vienne l'idée qu'un véhicule pourrait
paraître tout à coup et les transporter commodément au logis. Ils sont si
peu accoutumés aux gâteries du sort que, lorsque celui-ci par hasard
leur sourit, ils en demeurent plus stupéfaits que reconnaissants, et, ne
pouvant s'expliquer l'accident heureux, ils le nient.
Bien leur prit, d'ailleurs, de ne point s'attendre à des merveilles ce
jour-là, car il ne s'en produisit aucune. Les bûcherons eurent beaucoup
de mal à rentrer chez eux; ils s'égarèrent plusieurs fois; les femmes
épuisées durent s'asseoir tandis que le temps précieux s'écoulait et
faisait grommeler les hommes rudes.
Quand le père Gilles, sa bourgeoise et les deux nouvelles chrétiennes
franchirent enfin le seuil de leur cabane, rien n'y était changé, et ils
s'endormirent simplement, du sommeil qui suit les journées de fatigue.
Et le lendemain, le travail reprit, tout comme à l'ordinaire.
Et il en fut de même pendant plusieurs années. Je dis bien: plusieurs
années.
De sorte que, si, par hasard, à la veillée, les bûcherons voisins se
réunissaient et se prenaient à deviser sur les choses passées,--car
celles-ci reviennent au coin du feu taquiner la mémoire paresseuse,--qui
donc, s'il vous plaît, se trouvait avoir raison? C'étaient les incrédules.
Aussi, que de gorges chaudes au sujet de la prétendue fée Malice, et du
carillon et des dragées et du déjeuner aux frais de la princesse! N'y
a-t-il pas partout des farceurs, disaient-ils, et des gens fortunés qui se
plaisent à jouer des tours, même favorables?
A la vérité, le père et la mère des deux petites filles avaient le dessous;
et, bien que les promesses féeriques eussent été faites en leur faveur, ils
n'y ajoutaient plus aucune foi.
Cependant, il se passait, sous la hutte, des choses qui, pour minces
qu'elles fussent, ne laissaient point d'être notables en un ménage qui
gagne péniblement sa vie et pour qui un sou est un sou.
C'est que, tout justement, quand la mère Gilles en était au chapitre de
ses comptes, il arrivait, ce qui est bien aussi étrange qu'un carillon
gratuit ou la visite d'une fée, que ses comptes se réglaient par un
excédent de recettes et jamais par un déficit.
La première fois qu'elle en fit la remarque à son homme, celui-ci n'en
fut point du tout si content que vous pourriez croire, et il obligea la
malheureuse à recommencer dix et vingt fois ses calculs, et il les fit
lui-même. Les piécettes d'argent étaient là; non qu'il plût, à vrai dire,
des sacs d'écus dans les armoires; mais,
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.