La capitaine | Page 8

Émile Chevalier
Sault,
consistant en une série de hangars et séchoirs en bois qui n'avait pas
moins d'un quart de mille de longueur.
La métairie et la pêcherie se trouvaient entre la villa et Halifax; mais,
de l'autre côté, s'étalait un parterre délicieux, suivi d'un parc immense,
longeant la mer où il baignait son pied.
Un ruisseau, dérivé de son cours naturel, l'arrosait par cent festons
capricieux et lui communiquait une fraîcheur avidement recherchée
pendant les ardeurs de l'été.
Quelques kiosques, tapissés de lierre, liserons, clématites et autres
plantes grimpantes, s'enchâssaient ça et là dans le parc, soit sur le bord
du ruisseau, soit sur une haute falaise, dominant l'Atlantique.
Dans ces kiosques, tantôt sous les ombrages, au concert de mille
oiseaux aimables, tantôt sur la roche nue, aride, au formidable solo de
l'Océan dont les fureurs rejaillissaient, en blanche écume, jusque sur
eux, que de douces et rapides heures Bertrand et Emmeline avaient
coulées! que de projets d'avenir, de bonheur ils avaient fait éclore et
miroiter au souffle de leur vive imagination, comme ces bulles de
savon que les écoliers lancent en jouant dans l'air!
Autant en emporte le vent, mais autant en retrouve notre esprit quand il
est jeune, enflammé par l'amour ou l'ambition.
En l'un de ces adorables réduits, devant une pièce d'eau où s'ébattaient
deux beaux cygnes, par une chaude après-midi du mois de juillet,
Emmeline et Bertrand causaient, tendrement enlacés l'un à l'autre.

L'endroit était ravissant. Aussi avait-il la prédilection des doux jeunes
gens.
Des arbres séculaires, reliés par des buissons de houx impénétrables, et
des acacias aux épines acérées, l'environnaient de mystère en le
protégeant contre les regards indiscrets. On y arrivait par un étroit
sentier dérobé, perdu dans un fouillis de végétations sauvages, épaisses
et repoussantes.
Avant d'aboutir à l'Oasis,--ainsi le frère et la soeur avaient-ils dénommé
leur Éden,--le sentier se tordait comme un écheveau de fil, et fatiguait
le non-initié par des méandres qui paraissaient inextricables.
Mais à l'extrémité de ce labyrinthe quel dédommagement!
Un vaste réservoir, dont les rives sont émaillées de fleurs chatoyantes et
odoriférantes; des ondes limpides, diaphanes ainsi que le cristal, où se
jouent, à travers les larges feuilles du nénuphar, aux corolles blanches
et jaunes, des poissons qui brillent comme le diamant, chaque fois
qu'un rayon de soleil effleure leurs écailles.
De la musique enchanteresse que font sous la feuillée les fauvettes, les
chardonnerets et le roi des ténors ailés, l'oiseau moqueur, pourquoi
parler? Mais, comme le gazouillement du ruisseau qui frétille là-bas,
sur une cascatelle, avant de tomber dans sa vasque d'émeraude, est
donc argentin! comme il charme l'oreille! endort la mélancolie! Que ces
gazons sont frais! Que ces centenaires de la forêt ont de séduction avec
leurs troncs noueux, habillés de lierre; leurs longs rameaux chargés de
gui, avec la pénombre qu'ils étendent mollement à leur pied! Que l'on
aime à suivre ces fleurs d'acacia, sveltes carènes détachées de la tige,
sillant le petit lac en tous sens au gré de la brise!
Le kiosque de l'Oasis s'élevait au sommet même de la cataracte en
miniature, sur une voûte formant grotte jetée en travers du ruisseau. Il
était rustique comme un chalet suisse, vêtu de mousse des pieds à la
tête, et n'avait qu'une pièce.
C'était une chambre octogone tendue de nattes de jonc et garnie de

banquettes en canne.
Une table, une bibliothèque composée avec goût, voilà pour le mobilier.
On s'était bien gardé d'y mettre une pendule, une horloge, ou quoique
ce soit qui rappelât la marche du temps.
--Oh! dit Emmeline en embrassant son frère, comme c'est bon de te
sentir près de moi!
--Et comme c'est bon d'être ici, petite soeur! dit Bertrand avec un
sourire.
--O mon Dieu, quand je songe aux tortures...
--Dis à l'agonie!
--Oui, à cette agonie de trois jours!
--C'est effroyable!
--Tu me fais peur, rien que d'y penser.
--Ah! dit Bertrand, il faut l'avoir éprouvée cette agonie cent fois pire
que la mort, pour en pouvoir parler. Et encore! Y a-t-il des capables de
traduire fidèlement toutes ces épouvantables émotions! Je me demande
comment on n'en meurt pas! comment la violence des chocs ne fait pas
éclater le cerveau, rompre les attaches du coeur!
--Pauvre frère! dit Emmeline en se jetant de nouveau à son cou; pauvre
frère, oh! comme je t'aime! N'est-ce pas que nous ne nous quitterons
plus... non, jamais... D'abord, je veux, monsieur, que vous abandonniez
ce vilain métier de marin!
--Nous verrons, nous verrons, petite folle, dit Bertrand, en lui rendant
prodigalement ses caresses.
Ils formaient un groupe exquis que l'art eût aimé à reproduire.
Grande, mince, élancée, Emmeline avait des proportions admirables,

dont un élégant déshabillé faisait merveilleusement ressortir les beautés.
Ses cheveux étaient blonds comme l'or, ses yeux--contraste
saisissant--noirs comme le jais.
Des traits corrects, un teint ordinairement rose, des extrémités fines,
nerveuses, une
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