physionomie de race achevait d'en faire à l'extérieur une
femme entièrement séduisante.
Pour le caractère, elle était languissante, molle comme une créole; mais
impérieuse comme elle, à certains moments; comme elle aussi dure,
opiniâtre, inflexible.
Ce caractère n'avait pas, du reste, reçu tout son dessin. Il offrait des
lignes indécises, noyées, que le feu des passions n'avait pas encore
accentuées, mais qu'il ne tarderait pas à creuser, à mettre en relief.
Bertrand était tout l'opposé de sa soeur, au physique comme au moral.
Si elle avait les cheveux blonds, il les avait châtains foncés; si elle avait
les yeux noirs, il les avait d'un bleu d'azur. Quoique pâli par la maladie,
son visage était rond, plein; une de ces figures dont le peuple dit: «C'est
une figure de bon enfant.»
Sans manquer de distinction, il était loin de posséder le galbe et le
maintien aristocratiques d'Emmeline.
Elle semblait la fille d'une duchesse, en présentait la grâce, la fierté
innée; lui, le fils d'un parvenu, en montrait la tournure et le naturel un
peu vaniteux.
Ce gui ne l'empêchait pas de passer, à Halifax, et d'être en somme un
jeune homme de bon ton et de manières excellentes. Si j'étais commère,
j'ajouterais qu'avant l'arrivée d'Arthur Lancelot, il était le point de mire
des plus riches et des plus nobles héritières.
--Mais, reprit-il, comment se fait-il qu'on n'ait pas attendu davantage,
qu'on ne m'ait pas saigné avant de m'ensevelir?
--Que veux-tu? les médecins assuraient...
--Ah! je le sais bien, je ne le sais que trop ce qu'ils assuraient, les
imbéciles! Je les entendais assez, si je ne les voyais!
--Quoi! tu entendais! s'écria Emmeline surprise.
--Comme je t'entends, ma chère soeur.
--Et tu ne sentais pas?
--Non, rien!
--Se peut-il?
--Quand, en sanglotant, ma mère et toi, vous avez dit que vous vouliez
m'embrasser une dernière fois, je vous ai entendues: j'aurais voulu crier,
faire un mouvement, briser ces chaînes de plomb qui me tenaient
immobile; j'aurais voulu vous dire: mais je ne suis pas mort! Je vis,
consolez-vous, séchez vos larmes! Je suppliais Dieu de me rendre les
sens pour une minute, pour une seconde; je le conjurais de faire glisser
un souffle, un seul sur mes lèvres, d'animer mon coeur d'un battement,
mon sang d'une pulsation; mais je ne distinguais rien, ne recevais
d'impression que par l'ouïe: un corps inerte, de glace, accessible
seulement au son, emprisonnait mon esprit.
--Oh! c'est affreux!... affreux!...
--Oui, bien affreux! continua le jeune homme. Il ne peut y avoir de
supplice comparable; car cet esprit, il avait toute sa lucidité. Je crois
même que sa sensibilité avait décuplé pour la perception l'analyse et la
souffrance de douleurs qu'à l'état normal un homme ne saurait
supporter.
--Oh! tais-toi! tais-toi! tais-toi, Bertrand! dit Emmeline en cachant son
visage dans ses mains.
Mais le frère aimait à parler de lui. C'était son défaut. Il continua, en
s'animant:
--Et quand les chirurgiens eurent déposé que j'étais mort, quand vinrent
les ensevelisseuses, quand j'assistai à leur conversation lugubre, quand
sur ma tête retentit le marteau qui clouait mon cercueil! puis les chants
funèbres, le Requiem: cette voix solennelle du prêtre, ces répons
nasillards et comme ironiques des chantres et des enfants de choeur, et
les gémissements des assistants sur ma fosse, et le cri déchirant de
notre père,--lorsqu'on l'entraîna loin du lieu où je devais expirer, en
toute connaissance de moi-même et sans pouvoir protester contre
l'ignorance implacable qui me condamnait,--et la première pelletée de
terre qui m'annonça que c'en était fait, que tout était fini,
irrévocablement, entre ce monde et moi...
--Quelle destinée! quelle destinée! balbutia Emmeline frémissante.
--Jusque-là, poursuivit Bertrand, j'avais nourri quelque espoir. Je me
disais que le bon Dieu serait miséricordieux, qu'il se laisserait fléchir à
mes ardentes prières, que chauffée par les brûlants désirs de mon esprit,
ma chair s'amollirait, qu'elle reprendrait son impressionnabilité; mais
quand sur mon cercueil tombèrent ces cailloux avec un bruit sépulcral,
on! je n'eus plus que blasphème, rage et désespoir dans tout ce qui
agissait encore en moi! Je ne conçois point que les derniers ressorts de
l'existence ne se brisent pas en mille et mille pièces dans un pareil
instant, ne durât-il qu'une tierce.
--Tu perdis alors le sentiment?
--Oui, tout à fait, et fort heureusement...
--Pauvre bon frère!
--Je serais devenu fou! Que dis-je? sais-je ce que je serais devenu? Fou!
ne l'étais-je pas déjà?
--Mais ton retour?
--Ah! ce fut comme un réveil après un long et terrible cauchemar.
--Je le crois bien!
--J'étais accablé de fatigue, courbaturé dans tous mes membres. Des
images flottaient confuses devant mon cerveau. Je voulus me remuer,
mes mains rencontrèrent un corps dur; j'en eus peur, une peur atroce, et
restai quelques moments immobile. J'avais oublié le passé; je me
demandai, chose inouïe! si l'on ne m'avait pas enterré vif. Est-ce que je
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.