quelque chose d'agréable.
Pas du tout, c'était deux fois une bêtise.
1° De supposer qu'un millionnaire aurait daigné l'attendre;
2° D'avouer à M. Nantua qu'il le croyait toujours très-occupé.
--En vérité, mes moments ne sont pas plus précieux que les vôtres. Je
ne fais jamais rien... Mais chauffez-vous, je vous prie, je suis à vous
dans l'instant.
Tancrède s'approche de la cheminée et garde le silence:
--Madame votre mère est-elle encore à Blois? demanda M. Nantua en
lisant toujours ses papiers.
--Oui, monsieur.
--Vous savez l'anglais?
--Oui, monsieur.
--Elle ne s'est pas remariée? Veuve à vingt-six ans!!!
--Non, monsieur.
--Et l'allemand? savez-vous un peu d'allemand?
--Oui, monsieur. Je sais un peu d'espagnol aussi, je le parle assez bien
pour voyager agréablement en Espagne, dit le rusé jeune homme qui
savait à quel point les hommes d'argent ont abusé de la Péninsule.
--Ah! vous savez aussi l'espagnol? Que vous êtes savant! Vous n'avez
pas été élevé à Paris?
Tancrède ne put s'empêcher de sourire de la naïveté de cette
épigramme.
--Non, monsieur, reprit-il, j'ai été élevé à Genève. Je ne suis resté au
collège Henri IV que deux ans.
--Quel âge avez-vous?
--Vingt et un ans.
Le banquier leva les yeux à ces mots, et jeta sur Tancrède un coup d'œil
rapide; mais Tancrède tournait la tête en ce moment, et l'on ne pouvait
voir son visage.
--Vous êtes grand pour votre âge, dit M. Nantua en riant.
Puis il pensa:
--Il a l'air fort distingué ce jeune homme, il me plaît; d'ailleurs j'ai le
désir d'obliger sa mère... Oh! l'aimable femme... Si j'avais été riche à
cette époque-là!...
--Eh bien, c'est convenu, dit-il; demain vous viendrez ici comme de la
maison. Ah! vous savez l'espagnol? c'est bien, très-bien; précisément je
crois pouvoir vous employer... C'est très-bien... Ah!... s'écria-t-il tout à
coup en s'interrompant.
Puis il garda le silence, et se mit à parcourir d'un œil inquiet le papier
qu'il venait de trouver.
Pendant ce temps, le jeune homme se disait:
--Je m'étonne que M. Nantua, si grand admirateur de ma mère, ne soit
pas saisi de ma ressemblance avec elle.
Tancrède, dans la modestie de son attitude, ne s'était pas aperçu que le
banquier ne l'avait point encore regardé.
Enfin M. Nantua se leva; sa figure était radieuse, il avait trouvé le
renseignement qu'il voulait, et tout ce qu'il méditait d'accomplir se
trouvait possible avec ce document.
L'espérance produit la bienveillance et la générosité chez les nobles
natures; il n'y a que les cœurs envieux et médiocres qui se resserrent et
se ferment à l'approche du bonheur.
M. Nantua retrouvant tout à coup la chance d'exécuter un grand projet,
qu'un obstacle survenu soudain avait un moment dérangé, se sentait
dans une de ces bonnes dispositions de l'esprit où l'on aime à faire le
bien, non pas pour le plaisir de faire le bien en lui-même, mais pour
faire partager à un autre la joie que l'on ressent. Ce n'est pas un homme
heureux que l'on veut, c'est un esprit content que l'on excite, afin que sa
disposition s'harmonise avec la nôtre. C'est un convive que nous
invitons au banquet qui nous est offert, un convive que nous enivrons
pour qu'il partage notre plaisir et que le repas soit plus joyeux.
--Ma foi, vous avez du bonheur, dit M. Nantua en s'approchant de la
cheminée, car voilà justement une affaire...
M. Nantua s'interrompit tout à coup; son regard resta fixé, comme par
enchantement, sur le visage de Tancrède. Le banquier garda quelques
moments le silence; immobile, il contemplait son jeune protégé.
--Voilà la ressemblance qui fait son effet, pensa Tancrède, c'est bon; si
cet homme-là me prend sous son aile, je suis sauvé... Comme il me
regarde!...
M. Nantua examinait toujours Tancrède, et mille pensées diverses lui
traversaient l'esprit.
D'abord l'apparition de ce beau jeune homme le charma comme l'aspect
d'un beau tableau; cette parfaite beauté, dans tout l'éclat de la jeunesse,
avait quelque chose de réjouissant qui flattait les regards; puis cette
ressemblance si frappante avec une femme aimable qu'il avait eu peur
d'aimer, toutes ces impressions parlèrent d'abord en faveur de
Tancrède--la nature noble et puissante eut ses droits un moment; mais
vint la réaction de la société, et les considérations mondaines eurent
leur tour.
--Diable! pensa M. Nantua, je ne veux pas d'un Adonis comme celui-ci
dans ma maison... et ma fille, qui est déjà si romanesque, si elle le
voyait... Ah! bon Dieu! il ne me manquerait plus que cela; il est gueux
comme un rat d'église, ce n'est pas le gendre qu'il me faut; sans compter
que ces beaux hommes-là sont toujours bêtes et paresseux.
--Vous me voyez stupéfait, dit-il tout haut et pour expliquer ce long
silence; je ne puis me lasser de vous regarder tant votre ressemblance
avec votre mère me frappe.
--On m'a souvent dit cela,
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