Paris?
--Deux jours.
--C'est la première fois que vous y venez?
--Non, monsieur. J'ai commencé mes études au collège Henri IV, et je n'ai quitté Paris que depuis cinq ans.
--Vous êtes resté en province?
--à Genève, chez un de mes oncles, M. Loindet.
--M. Loindet est votre oncle? Eh! mais je le connais beaucoup; il avait une s?ur bien belle: serait-ce votre mère?
--Oui, monsieur.
--Ah! sans doute, je trouve une ressemblance... Je me disais aussi, cette figure ne m'est pas inconnue.
--Bien! pensa Tancrède, voilà encore ma figure qui fait son effet.
M. Poirceau continua:
--Je l'ai connue bien jeune, votre mère; elle était si belle! Ah! tout le monde l'admirait! et puis de l'esprit, du bon sens, raisonnable! C'est une femme de mérite. Où est-elle maintenant?
Tancrède répondit à toutes les questions que M. Poirceau lui adressa sur le compte de sa mère, et il se réjouissait de la bienveillance, de l'affection même que son nouveau protecteur lui témoignait.
--Cette belle Amélie! elle ne se souvient pas de moi: n'importe! je suis heureux de pouvoir lui être utile. Son fils n'est pas un inconnu pour moi. J'espère que nous nous entendrons. Mais je veux, avant tout, vous présenter à ma femme. Justement, ce soir, nous avons un petit bal; il lui faut des danseurs, et je ne saurais lui amener un plus beau cavalier!
Tancrède se confondit en politesses.
--C'est cela, continua M. Poirceau, venez d'abord ce soir, et demain nous parlerons affaires. J'ai ce qu'il vous faut. à ce soir! si vous écrivez à votre mère, parlez-lui de son vieil adorateur Poirceau!
Tancrède s'éloigna.
--Ma femme sera contente, j'espère, pensa M. Poirceau; elle tient tant à ce que ses danseurs aient bon air! Le beau gar?on! Je gage que, dans tous les bals de Paris, on ne trouverait pas un plus beau jeune homme! C'est sa mère, c'est tout à fait sa mère! Ce gar?on-là me pla?t. Je suis content de l'avoir chez moi; ce doit être un brave jeune homme; et puis M. Nantua para?t en faire grand cas.
Ce disant, le directeur de la compagnie d'assurances contre l'incendie rentra dans son appartement.
Tancrède retourna chez lui, ravi, enchanté de l'accueil qu'il avait re?u.
--Ma foi, j'ai du bonheur; tout le monde me veut du bien: voilà ce banquier qui me recommande, ce directeur de la compagnie d'assurances à primes contre l'incendie--c'est un peu long--qui me protège; allons, je ferai mon chemin. Il me pla?t, ce vieux bonhomme; il est franc, joyeux, il donne des bals; j'aime ?a.
Et Tancrède se mit doucement à écrire à sa mère pour lui faire partager ses espérances.
Le soir, il se rendit au bal.--Quelle différence! il ne reconnaissait plus la maison.
--Où est donc la porte? Il me semble être entré par là ce matin.
Point de porte! une grande glace l'avait remplacée; puis des caisses de fleurs, des tapis dans l'escalier. Tancrède ne pouvait comprendre comment, du matin au soir, on avait pu produire de si prompts embellissements.
Comme il entrait, M. Poirceau vint le prendre par le bras. Tancrède ne savait pourquoi ce monsieur venait le chercher; il ne reconnaissait pas non plus M. Poirceau.
Le bonhomme avait aussi subi quelques embellissements. Ce n'était plus le joyeux compère qu'il avait vu le matin, ma?tre chez lui, avec son bonnet de soie, sa robe de chambre et ses pantoufles de tapisserie.--C'était un h?te affairé, perdu dans une cravate, triste dans un habit, gêné dans un salon, tourmenté de mille niaiseries, mais, du reste, bon et bienveillant.
--Madame Poirceau est par ici, je vais vous présenter à elle.
Tancrède s'avan?a vers la ma?tresse de la maison.
La présentation s'opéra en silence.
Madame Poirceau jeta à peine un coup d'?il sur le beau danseur qu'on lui avait tant annoncé, toute préoccupée qu'elle était de l'arrivée d'une grosse Allemande couverte de bijoux et de fleurs, qui paraissait un personnage d'importance.
M. Poirceau fut mécontent du peu d'effet que son protégé fit sur sa femme.
--Venez, dit-il, je vais vous présenter à ma nièce.
La nièce de M. Poirceau était une très-jolie personne que, par un de ces hasards qu'on met dans les romans, Tancrède avait déjà rencontrée à Genève. Une reconnaissance s'ensuivit; madame Thélissier accueillit M. Dorimont fort gracieusement. Elle était engagée pour plusieurs valses et contredanses; mais elle trouva moyen d'embrouiller si bien ses engagements, qu'elle fut libre, et put valser assez légalement avec lui--ce qui attira bien vite l'attention de toutes les femmes sur notre Apollon.
--Avec qui valse donc madame Thélissier?
--Connaissez-vous ce jeune homme qui valse avec la nièce de M. Poirceau?
--Demandez donc à madame Poirceau le nom du monsieur qui valse avec Malvina.
--Monsieur Bénard, dit une vieille femme, tachez donc de savoir quel est ce monsieur qui valse avec madame Thélissier?
--Personne ne le conna?t, c'est un sauvage.
--Je crois plut?t que c'est un Anglais.
Puis, dans le salon voisin, une jeune personne qui peignait à l'huile s'écriait:
--Quelle tête admirable! quelles lignes! c'est Endymion!
Et ses regards s'attachaient avec joie sur le bel inconnu.
La
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