peinture est une émancipation pour les jeunes filles; elle leur donne le droit de regarder les hommes en face et en détail; l'admiration purifie tout.--Si j'avais une fille, elle peindrait le paysage.
Plus loin, un groupe de vieilles femmes s'exprimaient ainsi:
--C'est un malheur d'être aussi beau que cela.
--Je le crois bête à manger du foin.
--Ah! vous voilà bien avec vos préjugés, dit une élégante de l'Empire. De mon temps les hommes étaient fort beaux, et je vous assure qu'ils avaient de l'esprit.
--Vous voulez dire qu'on leur en trouvait.
--Voici madame Poirceau, demandez-lui vite le nom de notre Adonis.
Madame Poirceau ne savait pas de qui on voulait lui parler; elle n'avait point regardé Tancrède, et n'avait pas écouté ce que son mari lui avait dit de lui.
--Comment! vous ne savez pas que vous avez chez vous une merveille? Voyez donc là-bas, le beau valseur de votre nièce; on ne parle que de lui, il fait événement dans votre bal, qui du reste est charmant.
Madame Poirceau se repentit alors d'avoir fait si peu de cas d'un personnage qui donnait à sa soirée tant d'éclat. Elle se rapprocha de sa nièce et saisit l'occasion d'adresser quelques mots obligeants à M. Dorimont. Tancrède saisit à son tour cette occasion de prier madame Poirceau de lui accorder une contredanse, et la sixième lui fut promise comme une faveur.
Madame Poirceau était dans l'age où l'on danse encore, car la vie des femmes se divise ainsi:
L'age où l'on danse, mais où l'on n'ose pas valser--c'est le printemps.
L'age où l'on danse, où l'on valse--c'est l'été.
L'age où l'on danse encore, mais où l'on préfère valser--c'est l'automne.
Enfin, l'age où l'on ne danse plus--c'est l'hiver... l'hiver toujours rigoureux de la vie.
Madame Poirceau était belle selon les principes de l'art, laide selon les lois de l'amour.
Belle en ce que ses traits étaient d'une parfaite régularité; laide en ce qu'ils manquaient d'harmonie.
Elle avait de ces visages superbes à raconter et point du tout à regarder; cette beauté de passe-port qui séduit le vulgaire, yeux grands, nez aquilin, bouche petite, front haut, visage ovale, menton rond.--Pour se faire aimer par ambassadeur, comme les princesses, madame Poirceau aurait pu envoyer son signalement, mais pas son portrait.
N'importe; c'est ce qu'on appelle une belle femme, une poupée parfaite, à ressorts invisibles, une figure de cire, impassible, invulnérable, jamais défrisée, jamais déshabillée;--toujours parée, serrée, pincée, corsée,--pas un cheveu qui voltige, pas un ruban qui folatre--madame Poirceau ne s'assied jamais que sur une chaise; elle semble parée dans sa robe de chambre, cuirassée dans sa douillette, armée dans sa robe de bal. Elle suit toutes les modes--avec go?t, avec plaisir?--non, mais avec conscience. Son coiffeur est le premier coiffeur de Paris, Charpentier, je crois, et quelle que soit la coiffure qu'il a plu à Charpentier de lui faire, elle la respecte, elle se garderait bien d'y toucher. Cette coiffure lui est désavantageuse?--qu'importe! cela ne la regarde pas; cette guirlande est lourde?--qu'importe! elle n'en est pas responsable; une épingle lui entre dans la peau?--qu'importe! elle y reste, l'?ter dérangerait la coiffure.
Même respect pour la couturière. Je vous l'ai dit, madame Poirceau suit les lois de la mode aveuglément, les lois du monde scrupuleusement, les lois de la nature raisonnablement. Elle est sévère, mais point méchante; elle ne sourit que les jours où elle donne un bal; elle dit d'un air pédant que les femmes ne doivent point s'occuper de littérature; elle parle ménage comme un professeur; elle a l'esprit lent, et regarde comme un mot inconvenant toute plaisanterie qu'elle ne comprend pas. Sa présence jette un grand froid partout où elle vient; son arrivée fait l'effet d'une porte qu'on ouvre dans une loge au spectacle. Quand elle doit passer la soirée chez une amie, cette amie en prévient ses habitués; ils ne viennent pas ce soir-là. Les hommes la craignent comme l'ennui, les femmes l'appellent: la belle madame Poirceau. Elle fait valoir les plus laides; pourtant on l'invite rarement, non qu'elle soit importune; elle ne s'occupe jamais des affaires des autres; elle est discrète et immobile: c'est une statue--mais une statue à qui il faut faire des politesses; c'est ennuyeux.
Eh bien! ces femmes-là font les mêmes folies que les autres! c'est révoltant!
Madame Poirceau ne fut frappée de la beauté de Tancrède que comme ma?tresse de maison. Un si beau jeune homme n'était nullement dangereux pour elle: madame Poirceau ne se serait jamais permis d'aimer, dans sa position, un homme aussi remarquable.
Cachez donc une intrigue avec un héros comme celui-là!--Les prudes savent s'imposer de grandes privations; elles ont en cela plus de mérite que les femmes vertueuses: celles-ci, du moins, ont pour elles la vertu, les autres n'ont pas même l'amour.
Madame Poirceau n'avait que faire des hommages de Tancrède, elle avait depuis longtemps trouvé l'homme qu'il lui fallait, et elle s'en tenait là.
Or, voici l'homme qu'elle avait choisi.
C'était un monsieur agé de trente-cinq
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