maison, et qu'il fallait, malgré sa bienveillance, tourner ses idées d'un autre c?té.
Et le soir du même jour, Tancrède re?ut de M. Nantua une lettre infiniment polie et gracieuse, dans laquelle M. Nantua exprimait tous ses regrets de ne pouvoir, par des raisons indépendantes de sa volonté, donner à M. Dorimont l'emploi qu'il lui avait d'abord promis, ajoutant toutefois que, dans le désir de lui être utile, il l'avait recommandé à un de ses amis qui ferait pour lui tout ce qu'il aurait désiré faire.
Le lendemain Tancrède fut introduit chez cet ami, M. Poirceau, directeur d'une nouvelle compagnie d'assurances contre l'incendie.
III
SECOND OBSTACLE
--Monsieur Poirceau?...
--C'est ici, donnez-vous la peine d'entrer.
La peine! je vous jure que c'était bien le mot, car, pour passer cette porte, il fallait faire un véritable siège.
Le palier de l'escalier, appelé vulgairement le carré, était barricadé de banquettes placées ?à et là dans tous les sens, et barrant complètement le chemin.
Tancrède, après bien des travaux, parvint dans l'antichambre; là il lui fallut encore s'arrêter.
Un énorme tapis roulé obstruait le passage, derrière ce tapis se trouvait la grande table de la salle à manger crénelée de toutes ses chaises; cela formait un assez gracieux édifice; puis de c?té et d'autre, encore des banquettes, puis un marchepied, un guéridon couvert de porcelaines, puis des jardinières en bois de palissandre attendant des fleurs, puis des candélabres attendant des bougies, puis un dessus de table en marbre, puis des paillassons, des pelles, des pincettes, des tabourets, des soufflets et une cafetière dite du Levant.
Tancrède traversa ce chaos sans malheur, il parvint jusqu'à la salle à manger.
Nouvelles difficultés.
Dans la salle à manger--se débattaient les meubles du salon: consoles, canapés; causeuses, fauteuils, bergères, divans; puis venaient les objets précieux: pendule avec son verre toujours menacé, vases de fleurs si beaux qu'on n'y met point de fleurs; buste d'oncle général, toujours ressemblant; table à ouvrages, coffres à ouvrages, et puis le piano. Toutes ces choses tenant avec peine dans la salle à manger, le désordre était à son comble.
Tancrède croyait planer sur les débris du monde comme un autre Attila. Jamais il n'était venu dans une administration de ce genre, il s'imagina que tous ces meubles avaient été sauvés de quelque incendie la veille, et qu'ils étaient là déposés jusqu'à ce que leur propriétaire se f?t trouvé une autre demeure.
Il regardait, escaladait une rangée de chaises, tournait un énorme canapé comme on tourne une montagne, rencontrait sur sa route beaucoup de choses, mais il ne voyait personne.
--Monsieur Poirceau? demanda-t-il une seconde fois.
--Par ici, par ici! cria une voix lointaine.
Tancrède ne voyait encore rien.
Il parvint jusqu'à la porte du salon.
Dans le salon--se pavanaient les meubles de la chambre à coucher, heureux de se sentir plus à l'aise.
Mais là on ne voyait encore personne.
Tancrède se dirigea vers la porte de la chambre à coucher, la même voix dit ces mots:
--Tiens, Caroline qu'a pas pris les housses!
Au même instant un gros paquet, lancé par une main invisible, vint frapper Tancrède dans la figure, et il se sentit aussit?t étouffé, perdu, ab?mé sous un déluge de petites jupes de toutes couleurs, de toutes grandeurs, dont il eut toutes les peines du monde à se débarrasser. Les unes avaient mille petits cordons qui s'accrochaient aux boutons de son habit, d'autres avaient de petites manches dans lesquelles ses bras se perdaient, le tout fortement saupoudré de poussière. C'était un embarras à ne plus s'y reconna?tre.
En sortant de tout cela, Tancrède se trouva face à face avec un grand niais de domestique, armé d'un balai et d'un plumeau. Celui-ci fut un moment déconcerté.
--Pardon, monsieur, je croyais que c'était le gar?on tapissier qui doit venir démonter les lits, et je m'amusais pour rire... si j'avais su...
--M. Poirceau? demanda Tancrède, interrompant ces excuses; puis voyant que la chambre était entièrement démeublée. Mais je crains de le déranger dans son déménagement, ajouta-t-il.
--Nous ne déménageons pas, répondit le domestique, tant que la Compagnie restera ici nous y demeurerons. Je vois que monsieur trouve l'appartement un peu sens dessus dessous; c'est le bal qui est cause de ?a; et ce maudit gar?on qui ne vient pas...
--Un bal, ce soir? Je reviendrai une autre fois.
--Oh! ce n'est pas le premier bal qu'on donne ici. Monsieur peut recevoir monsieur; si monsieur veut passer dans le cabinet de monsieur, je vais avertir monsieur.
Il y a peu de nuances dans la gent domestique à Paris. Ou ce sont des insolents qui vous répondent à peine oui et non, ou bien ce sont des amis pleins de confiance qui vous mettent au courant de toutes les affaires de la maison dès le premier jour.
M. Poirceau re?ut Tancrède avec cordialité.
--M. Nantua s'intéresse vivement à vous, dit-il; il vous a chaudement recommandé.
En disant ces mots, M. Poirceau examinait Tancrède de la tête aux pieds; il semblait ébloui d'admiration.
--Y a-t-il longtemps, ajouta-t-il, que vous êtes à
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