point les hommes d'argent ont abusé de la Péninsule.
--Ah! vous savez aussi l'espagnol? Que vous êtes savant! Vous n'avez pas été élevé à Paris?
Tancrède ne put s'empêcher de sourire de la na?veté de cette épigramme.
--Non, monsieur, reprit-il, j'ai été élevé à Genève. Je ne suis resté au collège Henri IV que deux ans.
--Quel age avez-vous?
--Vingt et un ans.
Le banquier leva les yeux à ces mots, et jeta sur Tancrède un coup d'?il rapide; mais Tancrède tournait la tête en ce moment, et l'on ne pouvait voir son visage.
--Vous êtes grand pour votre age, dit M. Nantua en riant.
Puis il pensa:
--Il a l'air fort distingué ce jeune homme, il me pla?t; d'ailleurs j'ai le désir d'obliger sa mère... Oh! l'aimable femme... Si j'avais été riche à cette époque-là!...
--Eh bien, c'est convenu, dit-il; demain vous viendrez ici comme de la maison. Ah! vous savez l'espagnol? c'est bien, très-bien; précisément je crois pouvoir vous employer... C'est très-bien... Ah!... s'écria-t-il tout à coup en s'interrompant.
Puis il garda le silence, et se mit à parcourir d'un ?il inquiet le papier qu'il venait de trouver.
Pendant ce temps, le jeune homme se disait:
--Je m'étonne que M. Nantua, si grand admirateur de ma mère, ne soit pas saisi de ma ressemblance avec elle.
Tancrède, dans la modestie de son attitude, ne s'était pas aper?u que le banquier ne l'avait point encore regardé.
Enfin M. Nantua se leva; sa figure était radieuse, il avait trouvé le renseignement qu'il voulait, et tout ce qu'il méditait d'accomplir se trouvait possible avec ce document.
L'espérance produit la bienveillance et la générosité chez les nobles natures; il n'y a que les c?urs envieux et médiocres qui se resserrent et se ferment à l'approche du bonheur.
M. Nantua retrouvant tout à coup la chance d'exécuter un grand projet, qu'un obstacle survenu soudain avait un moment dérangé, se sentait dans une de ces bonnes dispositions de l'esprit où l'on aime à faire le bien, non pas pour le plaisir de faire le bien en lui-même, mais pour faire partager à un autre la joie que l'on ressent. Ce n'est pas un homme heureux que l'on veut, c'est un esprit content que l'on excite, afin que sa disposition s'harmonise avec la n?tre. C'est un convive que nous invitons au banquet qui nous est offert, un convive que nous enivrons pour qu'il partage notre plaisir et que le repas soit plus joyeux.
--Ma foi, vous avez du bonheur, dit M. Nantua en s'approchant de la cheminée, car voilà justement une affaire...
M. Nantua s'interrompit tout à coup; son regard resta fixé, comme par enchantement, sur le visage de Tancrède. Le banquier garda quelques moments le silence; immobile, il contemplait son jeune protégé.
--Voilà la ressemblance qui fait son effet, pensa Tancrède, c'est bon; si cet homme-là me prend sous son aile, je suis sauvé... Comme il me regarde!...
M. Nantua examinait toujours Tancrède, et mille pensées diverses lui traversaient l'esprit.
D'abord l'apparition de ce beau jeune homme le charma comme l'aspect d'un beau tableau; cette parfaite beauté, dans tout l'éclat de la jeunesse, avait quelque chose de réjouissant qui flattait les regards; puis cette ressemblance si frappante avec une femme aimable qu'il avait eu peur d'aimer, toutes ces impressions parlèrent d'abord en faveur de Tancrède--la nature noble et puissante eut ses droits un moment; mais vint la réaction de la société, et les considérations mondaines eurent leur tour.
--Diable! pensa M. Nantua, je ne veux pas d'un Adonis comme celui-ci dans ma maison... et ma fille, qui est déjà si romanesque, si elle le voyait... Ah! bon Dieu! il ne me manquerait plus que cela; il est gueux comme un rat d'église, ce n'est pas le gendre qu'il me faut; sans compter que ces beaux hommes-là sont toujours bêtes et paresseux.
--Vous me voyez stupéfait, dit-il tout haut et pour expliquer ce long silence; je ne puis me lasser de vous regarder tant votre ressemblance avec votre mère me frappe.
--On m'a souvent dit cela, répondit Tancrède.
Et soudain il se sentit attristé; sa confiance s'évanouissait, et il ne pouvait se rendre compte du motif qui la lui ?tait.
Le fait est que M. Nantua n'avait pas mis, en pronon?ant ces mots, l'inflexion qu'il aurait d? y mettre. Son accent était froid, son maintien embarrassé, enfin tout en lui trahissait le changement subit qui s'était opéré dans ses projets à l'égard de son protégé.
--Déjà onze heures et demie! s'écria M. Nantua en regardant la pendule.
--Je vous laisse, dit Tancrède se dirigeant aussit?t vers la porte.
Alors il s'arrêta indécis, car il n'osait plus dire:
--J'aurai l'honneur de venir prendre vos ordres demain. M. Nantua devina sa pensée.
--à demain, dit-il, à dix heures...
Mais ces mots étaient mal dits; on sentait que c'était un mensonge.
Tancrède s'éloigna découragé; pourquoi? Il n'en savait rien; mais il pressentait, il devinait que la protection du riche banquier ne lui était plus acquise, qu'il ne ferait point partie de sa
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.