La belle Gabrielle, vol. 2 | Page 8

Auguste Maquet
égarés!... Dieu
m'est témoin qu'en un jour de bataille je cherche moi-même, bien bas
courbé, bien palpitant, mes pauvres sujets, couchés blessés ou morts sur
la plaine. Et je ne m'y épargne pas plus que le moindre valet d'armée.
Mais, quand vous avez marié votre fille sans dire gare, me forcer à
fouiller le pays pour retrouver votre gendre, moi qui suis enchanté de le
savoir à tous les diables, ventre-saint-gris, vous me prenez pour un roi
de paille, monsieur d'Estrées. Si je savais où est votre favori, je ne vous
le dirais pas; ainsi, allumez toutes vos chandelles, bonhomme, et
cherchez!
Gabrielle et Gratienne, entraînées par cette verve irrésistible, ne purent
s'empêcher, l'une de sourire, l'autre de rire immodérément. M. d'Estrées,
plus pâle et plus furieux que jamais:
--Si c'est là, dit-il, une réponse digne de mes services, de ceux de mon
fils et de notre infatigable dévouement, si c'est là ce que je dois
rapporter à tous mes amis qui attendent dans ma maison, où je n'ose
retourner de peur des railleries....
--Si l'on vous raille, monsieur, répliqua le roi d'un ton de maître irrité
par ces imprudentes paroles, vous n'aurez que ce que vous méritez,
vous qui vous êtes défié du roi de France, d'un gentilhomme sans tache
ni tare! Quant à vos services, que vous me reprochez, c'est bien,
gardez-les! A partir de ce moment, je n'en veux plus! Demeurez chez
vous; je vous enverrai demain votre fils, le marquis de Coeuvres, qui
pourtant est un honnête homme, et que j'aimais comme un frère, tant à
cause de son mérite, que par amitié pour sa soeur. Restez tous ensemble,
monsieur, vous, votre fils et votre gendre. Je suis né roi de Navarre sans
vous, devenu roi de France sans vous ni les vôtres, et je saurai
m'asseoir sur mon trône en mon Louvre, sans votre service si
mesquinement reproché.
--Sire! s'écria M. d'Estrées en se prosternant éperdu, car il voyait
s'écrouler, ruinés à jamais, la fortune et l'avenir de sa maison, vous
m'accablez!...
--Çà! dit le roi, livrez-moi passage. C'est rompu entre nous, monsieur.

Le comte s'éloigna suffoqué par la honte et la douleur.
--Et entre nous? demanda plus bas Henri à Gabrielle.
--Loyal vous avez été sire, dit la pâle jeune femme; loyale je serai.
Vous avez tenu votre parole, et vous voilà catholique; je tiendrai la
mienne, je suis vôtre; seulement, gardez votre bien.
--Oh! gardez-le-moi, vous! s'écria Henri avec les transports d'un amour
passionné. Jurez-moi encore fidélité, en notre commun malheur! Si
votre mari se retrouve, ne m'oubliez pas!
--Je me souviendrai que j'appartiens à un autre maître. Mais abrégez
mon supplice, sire!
--Soyez bénie pour cette parole.... Votre main.
Gabrielle tendit sa douce main, que le roi caressa d'un baiser
respectueux.
--Je pars cette nuit même pour entreprendre contre Paris, dit le roi;
avant peu vous aurez de mes nouvelles. Mais comment avez-vous pu
me donner des vôtres, et par un de mes gardes encore?
--C'est l'un des deux jeunes gens logés au couvent, dit Gabrielle, deux
coeurs généreux, deux amis pleins de courage et d'esprit.
--Ah! oui. L'un d'eux est ce blessé amené par Crillon, un beau garçon
dont j'aime tant la figure!
Gabrielle rougit. Espérance, debout, devant une touffe de sureaux, la
regardait de loin, immobile et pâle, un bras passé autour du col de
Pontis.
Le roi se retourna pour suivre le regard de Gabrielle, et apercevant les
jeunes gens:
--Je les remercierais moi-même, dit-il, si ce n'était vous trahir.
Remerciez-les bien pour moi.
Et il fit un petit signe amical à Pontis dont le coeur tressaillit de joie.
--Sire, dit Gabrielle, autant par compassion pour son père que pour
détourner l'attention du roi, dont un mot de plus sur Espérance l'eût
peut-être embarrassée, vous ne partirez point sans pardonner à mon
pauvre père. Hélas! il a été dur pour moi, mais c'est un honnête et fidèle
serviteur. Et mon frère! souffrirait-il aussi de mon malheur? Le
priveriez-vous de servir son roi?
--Vous êtes une bonne âme, Gabrielle, dit Henri, et je ne suis point
vindicatif. Je pardonnerai à votre père d'autant plus volontiers que le
mari est plus ridicule. Mais je veux qu'il vous doive mon pardon, et que

ce pardon nous profite. Laissons-lui croire jusqu'à nouvel ordre que j'ai
conservé mon ressentiment. D'ailleurs, j'en ai, du ressentiment. Le coup
vibre encore dans mon coeur.
--Ce sera vous honorer aussi, continua la jeune femme, que de ne point
faire de mal à ce pauvre disgracié, mon mari. Continuez à le retenir loin
de moi sans qu'il souffre autrement, n'est-ce pas?...
--Mais ce n'est pas de mon fait qu'il est absent! s'écria le roi, j'ai cru que
vous lui aviez joué ce tour.
--Vraiment? dit Gabrielle, j'en suis innocente; que lui est-il donc arrivé
alors?
Elle fut interrompue par l'arrivée de
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