La belle Gabrielle, vol. 2 | Page 7

Auguste Maquet
Espérance que le petit mari
n'était pas encore retrouvé.
Pourquoi Espérance se redressa-t-il avec une joie manifeste? pourquoi,
ranimé par cette nouvelle, se leva-t-il allègre, souriant? pourquoi
accabla-t-il de sarcasmes et de bouffonnes malédictions le seigneur
Nicolas, indigne pourtant de sa colère? c'est ce que Pontis chercha

vainement à deviner. Espérance y eût peut-être été fort embarrassé
lui-même.
En attendant, les deux amis, après leur repas, s'allèrent installer sous les
arbres de la fontaine, où Espérance sous prétexte de faire une plus
heureuse digestion, se plongea dans l'engourdissement d'une rêverie
mélancolique, tandis que Pontis, taillant des pousses de tilleuls, s'en
confectionnait des petits sifflets destinés, disait-il, à fêter le retour de M.
de Liancourt.
Sans doute, la nuit, cette mère féconde des songes, avait soufflé sur
Espérance et Gabrielle quelques-uns de ces rêves qui, lorsqu'ils
éclosent simultanément sur deux âmes, les font soeurs et amies malgré
elles, par la mystérieuse intimité d'un commerce invisible. Car pendant
toute cette matinée, Espérance regarda par une éclaircie des arbres la
fenêtre de Mlle d'Estrées, et son regard eut la force d'attirer là Gabrielle,
qui, à partir de ce moment, ne détourna plus les yeux de la fontaine.
Elle y était encore, pensive et larmoyante, pareille à la fille de Jephté,
quand un bruit de voix dans l'allée principale changea tout à coup
l'attitude des jeunes gens sous le berceau. Ils se levèrent avec des
marques de surprise et de respect qui furent aperçues de Gabrielle; et au
même moment Gratienne accourut en s'écriant;
--Le roi!
Gabrielle vit dans le parterre M. d'Estrées qui s'avançait lentement; le
roi venait à sa suite, et derrière eux, quelques religieux et les serviteurs
de Henri formaient un groupe, discrètement écarté d'environ trente pas.
La jeune fille, oubliant tout, se précipita par les degrés, et vint, folle
d'émotion, jusqu'à la séparation des deux jardins. Là, elle tomba
agenouillée aux pieds d'Henri, en s'écriant avec un torrent de larmes:
--Oh! mon cher sire!...
Le roi si tendre et si affligé ne put tenir à un pareil spectacle, il releva
Gabrielle en larmoyant lui-même et murmura:
--C'en est donc fait!
Qu'on se figure l'attitude de M. d'Estrées pendant ces lamentations. Il
en mordait de rage ses gants et son chapeau.
--Mademoiselle, dit le roi, voilà donc pourquoi vous n'êtes pas venue à
Saint-Denis aujourd'hui, joindre vos prières à celles de tous mes amis!
--Mon coeur a dit ces prières, sire, répliqua Gabrielle, et nul en votre
royaume ne les a prononcées plus sincères pour votre bonheur.

--Pendant que vous étiez malheureuse! car vous l'êtes, n'est-ce pas, du
mariage que l'on vous a fait faire.
--J'ai dû obéir à mon père, sire, répliqua Gabrielle en redoublant de
soupirs et de larmes.
--Un roi, reprit Henri d'un air courroucé, ne violente pas les pères de
famille dans l'exercice de leurs droits. Mais quand les femmes sont
malheureuses et qu'elles se viennent plaindre à lui, le roi est maître d'y
porter remède. Adressez-moi vos plaintes, mademoiselle. Hélas! je dois
dire madame... mais telle a été l'incivilité de cette maison que j'ignore
jusqu'au nom de votre mari.
M. d'Estrées crut devoir intervenir.
--C'est un loyal gentilhomme, serviteur dévoué de sa Majesté.
D'ailleurs, je crois pouvoir hasarder que vous le connaissez maintenant,
sire.
--Je ne vous comprends pas, monsieur, dit le roi avec hauteur.
--Mon père veut dire que M. de Liancourt a disparu depuis le mariage,
s'écria Gabrielle, dont l'excellent coeur voulait à la fois rassurer l'amant
et protéger le père.
--Disparu! dit le roi charmé.
--Et monsieur d'Estrées, ajouta Gabrielle avec un malicieux sourire,
semble supposer que Votre Majesté pourrait en savoir quelque chose.
--Qu'est-ce à dire? demanda Henri.
Le roi sait toujours tout, dit M. d'Estrées, fort gêné.
--Quand je sais les choses, monsieur, je ne les demande pas. A présent,
grâce à madame, je sais que son mari s'appelle Liancourt, qui est, si je
ne me trompe, une maison picarde.
--Oui, sire, dit M. d'Estrées.
--Mais le seul Liancourt que je connaisse est bossu.
--Précisément, s'écria Gabrielle.
--Je m'en attriste, dit Henri, cachant mal sa mauvaise humeur; mais ce
dont je me réjouis, c'est qu'il ait eu le bon goût de disparaître pour ne
point gâter, papillon difforme, une si fraîche et si noble fleur.
M. d'Estrées grinçant des dents:
--J'oserais pourtant, dit-il, supplier Votre Majesté de donner des ordres
pour que monsieur de Liancourt soit retrouvé. Une pareille disparition,
si elle vient d'un crime, intéresse le roi, puisque la victime est un de ses
sujets; si elle n'est que le résultat d'une plaisanterie, comme cela peut

être, la plaisanterie trouble et afflige toute une famille; elle porte
atteinte à la considération d'une jeune femme. C'est donc encore au roi
de la faire cesser.
--Ah, par exemple! s'écria Henri, vous me la baillez belle, monsieur.
Que je m'inquiète, moi, des maris perdus, des bossus
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