La belle Gabrielle, vol. 2 | Page 9

Auguste Maquet
frère Robert qui, pour venir à la
rencontre du roi, avait laissé quelques personnes qu'on apercevait de
loin sous le grand vestibule du couvent.
--Il est bien triste, dit le roi, d'être forcé de partir à jeun lorsqu'on venait
dîner chez des amis.
--Le révérend prieur, répliqua frère Robert, a préparé une collation pour
Votre Majesté. Ai-je eu raison de la faire servir sous le bel ombrage de
la fontaine?
--Ah, oui! s'écria Henri, en plein air, sous le ciel! On se voit mieux, les
yeux sont plus sincères, les coeurs plus légers. Vous me ferez les
honneurs de cette collation, n'est-ce pas, madame, ce sera votre premier
acte de liberté.
--Permettez, sire, ajouta Gabrielle, que j'aille un peu consoler mon père.
--Bien peu!... revenez vite, car mes instants sont comptés.
Gabrielle partit. On vit des religieux dresser une table sous le berceau,
d'où Espérance et Pontis s'était discrètement éloignés à leur approche.
Le roi s'avança vers le moine et le regarda d'un air d'affectueux
reproche.
--Voilà donc, murmura-t-il en désignant du doigt Gabrielle, comment
l'on m'aime et l'on me sert en cette maison! J'avais un trésor précieux,
on le livre à autrui! oh! frère Robert, j'ai décidément ici des ennemis!
--Sire, répliqua le moine, voici ce que répondrait notre prieur à Votre
Majesté:--C'est un crime odieux d'enlever une jeune fille à son père.
C'est seulement un péché d'enlever sa femme à un mari; et lorsque la
femme à été mariée par force, le péché diminue.
--Alors, à tout péché miséricorde, répliqua le roi en soupirant; mais en
attendant, Gabrielle est mariée.

--Votre Majesté ne l'est-elle pas?
--Oh! mais moi, je ferai rompre quelque jour mon mariage avec
madame Marguerite.
--Si vous en avez le pouvoir sur une grande princesse soutenue par le
pape, à plus forte raison pourrez-vous rompre l'union de madame
Gabrielle avec un petit gentilhomme. Jusque-là, tout est pour le mieux.
--Si ce n'est qu'un mari est un mari, c'est-à-dire un danger pour sa
femme.
--Présent, c'est possible, mais absent?
--Oh! celui-là reviendra.
--Croyez-vous, sire? Moi je ne le crois pas.
--La raison?
--Votre Majesté est trop en colère, et si ce malheureux se présentait il
sait bien qu'il serait perdu.
--Il se cache, s'écria le roi dans un élan de gasconne. Où cela? dis.
--Ouais!... déclama le moine avec un sérieux comique, pour que je le
livre à votre vengeance, n'est-ce pas? C'est là une question de tyran.
Mais j'ai promis de sauver la victime, et je la sauverai, dussiez-vous me
demander ma tête!
En disant ces mots avec majesté, il remuait un formidable trousseau de
clés à sa ceinture.
--Oh! frère Robert! que vous êtes bien toujours le même! murmura le
roi, riant et s'attendrissant à la fois.
--J'oubliais d'annoncer à Votre Majesté, interrompit le moine, que M. le
comte d'Auvergne attend votre bon plaisir avec des dames et des
cavaliers....
--Le comte d'Auvergne, que me veut-il? demanda le roi surpris.
--Il vous le dira sans doute, sire, car le voilà qui vient avec sa
compagnie.

III
COUPS DE THÉATRE
Sur un signe du frère parleur, les dames qui accompagnaient M.
d'Auvergne s'avancèrent. Dieu sait la joie; elles étaient au comble de
leurs désirs.
Henri se sentait trop heureux pour ne pas faire bon visage. Il accueillit
gracieusement le comte d'Auvergne et salua les dames par un: «Voilà

de bien aimables dames!» qui acheva de lui conquérir M. d'Entragues,
déjà fort disposé au royalisme le plus ardent.
--J'ai l'honneur de présenter à Votre Majesté madame ma mère, ajouta
le comte en désignant Marie Touchet.
Le roi connaissait l'illustre personne, il salua en homme qui sait
pardonner.
--Mon beau-père, M. le comte d'Entragues, poursuivit le jeune homme.
Le beau-père se courba en deux parties égales.
--Et mademoiselle d'Entragues, ma soeur, acheva le comte en prenant
par la main Henriette, toute frémissante sous l'oeil attentif du roi.
--Une personne accomplie, murmura Henri, qui parcourut en
connaisseur la toilette et les charmes de la jeune fille.
M. le comte d'Auvergne se rapprochant du roi avec un sourire:
--Votre Majesté, dit-il, la reconnaît-elle?
--Non, je n'avais jamais vu tant de grâces.
Le comte se pencha à l'oreille d'Henri, et lui dit tout bas:
--Votre Majesté ne se souvient donc pas du bac de Pontoise et de cette
jolie jambe qui nous occupa si longtemps.
--Si, pardieu! s'écria le roi, voilà que je me rappelle. Eh bien, est-ce que
cette charmante jambe....
--Ce jour-là, sire, Mlle d'Entragues, revenant de Normandie, eut
l'honneur de se rencontrer à Pontoise sur le chemin de Votre Majesté.
--Vous ne me l'avez pas dit, d'Auvergne.
--Je ne connaissais point encore ma soeur.
Pendant toute cette conversation, pour le moins singulière, Henriette,
les yeux baissés, rougissait comme une fraise. M. d'Entragues faisait la
roue, et Marie Touchet, dans sa gravité majestueuse, feignait de ne rien
entendre, pour
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