de ma fille je n'offense pas
Sa Majesté.
--Vrai Dieu! dit Henri sans donner dans le piège, allez-vous jouer aux
fins avec moi, par hasard? Quoi, je vous ai fait l'honneur de vous visiter
chez vous, de vous nommer mon ami, et vous mariez votre fille sans
même m'en donner avis! Depuis quand, en France, n'est-on plus honoré
d'inviter le roi à ses noces?
--Sire....
--Vous êtes un méchant homme ou un rustre, monsieur, choisissez.
--L'irritation même de Votre Majesté me prouve....
--Que vous prouve-t-elle, sinon que j'ai été délicat lorsque vous étiez
grossier, patient quand vous étiez féroce, observateur des lois de mon
royaume, quand vous violiez toutes les lois de la politesse et de
l'humanité. Ah! vous aviez peur que je ne vous prisse votre fille! Ce
sont des terreurs de croquant, mais non des scrupules de gentilhomme.
Que ne me disiez-vous franchement: Sire, veuillez me conserver ma
fille. Croyez-vous que je vous eusse passé sur le corps pour la prendre!
Suis-je un Tarquin, un Héliogabale? mais non vous m'avez traité
comme on traite un larron; s'il vient, on cache la vaisselle d'argent ou
on la passe chez le voisin. Ventre saint gris! monsieur d'Estrées, je crois
que mon honneur vaut bien le vôtre.
--Sire, balbutia le comte éperdu, écoutez-moi!...
--Qu'avez-vous à me dire de plus? Vous avez sournoisement marié
votre fille, ajouterez-vous qu'elle vous y a forcé?
--Comprenez les devoirs d'un père.
--Comprenez les devoirs d'un sujet envers son prince. Ce n'est point
français, c'est espagnol ce que vous avez fait là. Pousser, le poignard
sur la gorge, une jeune fille pour qu'elle aille à l'autel, profiter de
l'absence du roi que cette jeune fille pouvait appeler à l'aide....
Monsieur d'Estrées, vous êtes père, c'est bien; moi, je suis roi, et je me
souviendrai!
Après ces mots, entrecoupés de gestes furieux, Henri reprit sa
promenade agitée dans la salle.
Le comte, la tête baissée, le visage livide, la sueur au front, s'appuyait à
l'un des piliers de la porte, honteux de voir dans le vestibule grossir le
nombre des témoins de cette scène, témoins bien instruits désormais,
tant le roi avait parlé haut dans la salle sonore.
Tout à coup, Henri, dont la véhémente colère avait cédé à quelque
réflexion, aborda brusquement le comte par ces mots:
--Où est votre fille?
--Sire....
--Vous m'avez entendu, je pense?
--Ma fille est chez elle, c'est-à-dire....
--Vous êtes bien libre de la marier, mais je suis libre d'aller lui en faire
mes compliments de condoléances. Allons, monsieur, où est-elle?
Le comte se redressant.
--J'aurai l'honneur, dit-il, de diriger Votre Majesté.
--Soit. Vous voulez entendre ce que je vais dire à la pauvre enfant? Eh
bien! j'aime autant que vous l'entendiez. Montrez-moi la route.
M. d'Estrées, les dents serrées, les jambes tremblantes, s'inclina et passa
devant pour ouvrir les portes. Il conduisit Henri du coté du bâtiment
neuf.
--Prévenez le révérend prieur, dit Henri à des religieux groupés sur son
passage, que je lui rendrai ma visite tout à l'heure.
Gabrielle, depuis les terribles émotions de la veille, avait gardé la
chambre, veillée par Gratienne, qui lui rendait compte exactement du
moindre bruit, de la moindre nouvelle. C'est par Gratienne qu'elle avait
reçu la réponse du roi, apportée deux heures après le mariage par Pontis,
et plus que jamais elle avait déploré sa défaite en voyant le roi si
tranquille sur sa fidélité. Maintenant, il ne s'agissait plus que de lutter
pour demeurer chez les génovéfains, au lieu de retourner, soit chez son
père, soit chez son mari. En cela elle avait reconnu la secrète
coopération du frère parleur. M. d'Armeval disparu, rien ne la forçait
plus d'aller à Bougival, tout l'engageait à rester au couvent, autour
duquel M. d'Estrées, effaré, cherchait son gendre, dont il attribuait
l'étrange absence à quelque piège tendu par le roi.
Gabrielle ressemblait au patient dont le bourreau ne se retrouve pas à
l'heure du supplice. Levée avant le jour, habillée depuis la veille, elle
s'était mise à la fenêtre et interrogeait avec anxiété, tantôt la route pour
voir si son père ramènerait le mari perdu, tantôt les jardins pour
recueillir les signaux ou les messages que pourraient lui envoyer ses
nouveaux amis.
L'agitation de Gabrielle envahissait par contre-coup la chambre
d'Espérance. Pontis avait trouvé son blessé dans un état de surexcitation
si incroyable, qu'il ne voulait pas croire que le mariage improvisé d'une
fille inconnue avec un bossu pût amener de pareilles perturbations dans
le cerveau d'un homme raisonnable. Il assemblait les plus bizarres
combinaisons pour découvrir la vérité. On le voyait, sautant et
ressautant par la fenêtre, courir en quête d'un éclaircissement, comme
un renard en chasse; et son ami, au contraire, restait couché, la tête
ensevelie sous les oreillers, comme pour étouffer une secrète douleur.
Ce fut Pontis qui, au point du jour, apprit à
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