de Bezons, et nous verrons!
II
OÙ LE ROI VENGE HENRI
Le roi, accompagné seulement de la Varenne et de quelques serviteurs
privilégiés, parcourait rapidement la route de Saint-Denis à Bezons. Las
d'avoir travaillé pour la couronne, il voulait consacrer le reste du jour à
son ami Henri.
Il respirait, le digne prince; après tant de professions de foi et de
cérémonies, tant de plain-chant et de clameurs assourdissantes, il se
reposait. Tout en lui se reposait, hors le coeur. Ce tendre coeur, épanoui
de joie, volait au-devant de Gabrielle, et devançait l'arabe léger que son
escorte avait peine à suivre.
Cependant un peu d'inquiétude se mêlait à son bonheur. Chemin faisant,
Henri s'étonnait de l'attitude étrangement hostile de M. d'Estrées, qui
osait improviser ainsi un mari, brusquer si rudement des accordailles,
épouvanter une pauvre fille jusqu'à la forcer d'appeler au secours! En
effet, le roi avait reçu la veille le message apporté par Pontis et répondu
sur-le-champ par le même courrier, qu'il arriverait le lendemain après
son abjuration, que Gabrielle pouvait bien tenir ferme, jusque-là et
qu'on verrait.
Pontis, selon le calcul du roi, avait dû revenir au couvent dans
l'après-dîner. Gabrielle, forte du secours promis, aurait résisté, ne se
serait pas mariée. Rien n'était perdu, et l'arrivée d'Henri allait changer
la face des choses, sans compter l'appui secret du mystérieux ami le
frère parleur.
Telles étaient les chimères dont le pauvre amant se repaissait en
poussant son cheval vers Bezons. Certainement l'absence de M.
d'Estrées à la cérémonie de Saint-Denis, celle plus douloureuse de
Gabrielle, que les yeux du roi avait partout cherchée, n'étaient point des
indices rassurants; mais comme tout peut s'expliquer, le roi s'expliquait
facilement la conduite d'un père rigoureux qui ne veut pas rapprocher
sa fille de l'amant qu'il redoute pour elle. Ces différentes alternatives de
tant mieux et de tant pis conduisirent Henri jusqu'au couvent dans une
situation d'esprit assez tranquille.
Comme il arrivait sous le porche, la première personne à laquelle il se
heurta fut M. d'Estrées lui-même, qui pour la dixième fois, depuis la
veille, sortait pour aller s'enquérir de son gendre disparu. Le comte fut
si troublé par l'aspect du roi, qu'il demeura béant, immobile, sans un
mot de compliments, lorsque tout le monde s'empressait de saluer et
féliciter le prince.
Henri sauta à bas de son cheval avec la légèreté d'un jeune homme, et
de son air affable, tempéré par un secret déplaisir, il aborda le comte
d'Estrées.
--Comment se fait-il, monsieur notre ami, dit-il, en lui touchant
familièrement l'épaule, que seul de tous mes serviteurs et alliés, vous
ayez manqué aujourd'hui au rendez-vous que je donnais ce matin à tout
bon sujet du roi de France?
Le comte, pâle et glacé, ne trouva point une parole. Il voulait répondre
sans colère et la rancune bouillonnait au fond de son coeur.
--Que vous ayez perdu ce beau spectacle, ajouta le roi, c'est d'un ami
tiède; mais que vous en ayez privé Mlle d'Estrées, ce n'est pas d'un bon
père.
--Sire, dit le comte avec effort, j'aime mieux vous dire la vérité. Mon
absence avait une cause légitime.
-Ah! laquelle? je serais curieux de vous l'entendre articuler tout haut,
répondit le roi pour forcer le comte à quelque maladresse.
--J'étais inquiet de mon gendre, sire, et je le cherchais.
--Votre gendre! s'écria Henri avec un soupir ironique, voilà un mot bien
pressé de passer par vos lèvres. Gendre s'appelle celui qui a épousé
notre fille. Or, ajouta-t-il en riant tout à fait, la vôtre n'est pas encore
mariée, je suppose?
Le comte répondit en rassemblant toutes ses forces:
--Je vous demande pardon, sire, Mlle d'Estrées est mariée depuis hier.
Le roi pâlit en ne voyant aucune dénégation sur le visage des assistants.
--Mariée hier!... murmura-t-il le coeur brisé.
--À midi précis, répliqua froidement le comte.
Aussitôt le roi entra dans la salle, d'où tout le monde, sur un geste qu'il
fit, s'écarta respectueusement.
--Approchez, monsieur d'Estrées, dit-il au comte avec une solennité qui
fit perdre, à ce dernier, le peu d'assurance qu'il avait eu tant de peine à
conserver.
Henri fit quelques pas dans la salle, et en proie à une agitation
effrayante pour l'interlocuteur, si au lieu de s'appeler Henri, le roi se fût
appelé Charles IX ou même Henri III, il s'arrêta tout à coup en face du
comte.
--Ainsi, Mlle d'Estrées est mariée, dit-il d'une voix brève, et c'est à n'y
plus revenir.
M. d'Estrées s'inclina sans répondre.
--Le procédé est étrangement sauvage, dit le roi, et je n'y croirais point
si vos yeux incertains et votre voix tremblante ne me l'eussent à deux
fois répété. Vous êtes un méchant homme, monsieur.
--Sire, j'ai voulu garder mon honneur.
--Et vous avez touché à celui du roi! s'écria Henri. De quel droit?
monsieur.
--Mais, sire... Il me semble qu'en disposant
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