La belle Gabrielle, vol. 2 | Page 3

Auguste Maquet
lui
frappant sur l'épaule de sa main gantée.
--Rien, madame. J'ai eu beau, depuis ce jour, chercher, m'enquérir
assidûment, je n'ai rien trouvé. Les traces de sang avaient été, comme
vous savez, interrompues par la rivière, et je me suis aperçu qu'à force
de questionner sur un blessé, sur un garde du roi, je devenais suspect.
On me l'a fait sentir en deux ou trois endroits. Une fois, j'avais
rencontré un meunier qui paraissait avoir en connaissance de
l'événement. Il avait, dans un cabaret de Marly, parlé d'un jeune homme

blessé, de M. de Crillon, d'un cheval boiteux; mais lorsque j'ai voulu
faire parler cet homme, il m'a regardé si étrangement et s'est tenu avec
tant de défiance sur la réserve, il a même rompu l'entretien si
brusquement, que je l'ai soupçonné d'aller chercher main-forte pour
m'arrêter. J'ai craint de vous compromettre en me compromettant
moi-même, et j'ai retourné au galop chez moi.
--Vous m'avez rendue bien inquiète!
--Vous comprenez ma situation, madame: impossible d'écrire,
impossible de quitter mon père, impossible de venir ici, où l'on ne
m'appelait pas... car on ne m'appelait pas, et j'avoue que j'étais surpris.
Marie Touchet embarrassée:
--On était bien occupé ici, dit-elle. Et puis, il nous faut prendre grand
soin de n'éveiller aucun soupçon: l'affaire a transpiré, malgré toutes
mes précautions.
--Oh! cela ne devait pas empêcher Mlle Henriette d'être un peu plus
affable envers moi, ajouta la Ramée avec une sombre douleur.
--Pardonnez-lui, ç'a été un grand choc pour l'esprit d'une jeune fille.
--Non, je ne lui pardonne pas, répliqua-t-il d'un ton presque menaçant.
Certains événements lient à jamais l'un à l'autre ceux qui s'en sont
rendus complices.
Marie Touchet frissonna de peur.
--Prenez garde, dit-elle, voici qu'on vient à nous.
M. d'Entragues s'approchait en effet, un peu surpris de voir ainsi se
prolonger l'entretien de la Ramée avec sa femme.
Quant à Henriette, dans sa fébrile impatience, elle torturait sa monture
pour l'obliger à faire face aux deux interlocuteurs, dont elle surveillait
ardemment la conversation.
--Je demandais à M. la Ramée, se hâta de dire Marie Touchet, pourquoi
il ne nous accompagne point à Saint-Denis.
--Bah! monsieur veut faire le ligueur! s'écria M. d'Entragues. D'ailleurs,
il est en habits de voyage, et lorsqu'il s'agit d'assister à une cérémonie,
l'usage veut qu'on prenne des habits de cérémonie.
La Ramée s'approcha du cheval d'Henriette, comme pour rattacher la
boucle d'un étrier.
--Vous voyez qu'on me chasse, dit-il tout bas; mais moi je veux rester!
Et il s'éloigna sans affectation, après avoir rendu son service.
Henriette hésita un moment, elle avait rougi de fureur à l'énoncé si clair

de cette volonté insultante. Mais un regard de la mère qui avait tout
compris, la força de rompre le silence.
--Monsieur la Ramée, dit-elle avec effort, peut très-bien nous escorter
jusqu'à Saint-Denis sans pour cela y entrer ni assister a la cérémonie.
--Assurément, répliqua-t-il avec une satisfaction hautaine.
--Comme vous voudrez, dit M. d'Entragues. Mais partons, mesdames.
M. le comte d'Auvergne vous a dit, souvenez-vous-en, qu'il fallait, pour
être bien placés, que nous fussions avant sept heures et demie devant
l'église.
Toute la cavalcade se mit en marche avec un bruit imposant. Les chiens
s'élancèrent, les chevaux piaffèrent sous la porte, pages et écuyers
demeurèrent à l'arrière-garde, deux coureurs gagnèrent les devants.
Henriette, par une manoeuvre habile, se plaça au centre, ayant sa mère
à droite, son père à gauche, de telle façon que, pendant la route, la
Ramée, qui suivait, ne put échanger avec elle que des mots sans
importance.
De temps en temps, elle se retournait comme pour ne pas désespérer
tout à fait sa victime, qui, se rongeant et contenant sa bile, voulut cent
fois s'enfuir à travers champs, et cent fois fut ramené par un fatal amour
sur les pas de cette femme qui semblait tirer à elle ce misérable coeur
par une chaîne invisible.
A Saint-Denis, il fut laissé de côté pendant que les dames placées par
les soins du comte d'Auvergne pénétraient dans la cathédrale. Il eût dû
partir. Il resta lâchement perdu dans la foule.
A huit heures sonnant, au son des cloches et du canon, parut le roi vêtu
d'un pourpoint de satin blanc, de chausses de soie blanche, portant le
manteau noir, le chapeau de la même couleur avec des plumes blanches.
Toute sa noblesse fidèle le suivait, il avait Crillon à sa gauche comme
une épée, les princes à sa droite. Ses gardes écossais et français le
précédaient, précédés eux-mêmes des gardes suisses. Douze trompettes
sonnaient, et par les rues tapissées et jonchées de fleurs, un peuple
immense se pressait pour voir Henri IV, et criait avec enthousiasme:
Vive le roi!
L'archevêque de Bourges officiait. Il attendait le roi dans l'église,
assisté du cardinal de Bourbon, des évêques et de tous les religieux de
Saint-Denis qui portaient la croix,
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