la Ramée, verdissant de dépit, que M. d'Entragues était
ligueur aussi il y a quinze jours.
--Si je l'étais il y a quinze jours, cela ne vous regarde pas. Toujours
est-il que je ne le suis plus aujourd'hui. J'aime mon pays, moi, et je sers
mon Dieu. L'opposition que j'ai pu faire à un prince hérétique, je n'ai
plus le droit d'en accabler un roi catholique. Maintenant, libre à vous de
vous liguer et religuer, mais ne m'en rompez point les oreilles, et ne
compromettez pas ma maison par vos blasphèmes.
La Ramée s'inclina tremblant de rage; ses yeux eussent poignardé M.
d'Entragues, si le mépris assassinait.
Celui-ci continuait à marcher vers l'escalier d'Henriette.
--Puisque vous cherchez Mme d'Entragues, dit-il à la Ramée, ce n'est
point ici que vous la trouverez.
--Je l'ai crue chez Mlle Henriette, murmura la Ramée, pardon.
Et il se retournait pour partir lorsque parut Henriette en haut de
l'escalier.
--Bonjour, mon père, dit-elle en descendant avec précaution pour ne
pas s'embarrasser dans les plis de sa longue robe de cheval que
soutenait un page et une femme de chambre.
Au son de cette voix, la Ramée resta cloué sur le sol, et tous les
Entragues du monde, avec leurs injures et leur profession de foi,
n'eussent pas réussi à le faire reculer d'une semelle.
Henriette était resplendissante de toilette et de beauté. Sa robe de satin
gris perle, brodée d'or, un petit toquet de velours rouge, duquel
jaillissait une fine aigrette blanche, et le pied cambré dans sa bottine de
satin rouge, et le bas de sa jambe ferme et ronde qui se trahissait à
chaque pas dans l'escalier, firent pousser un petit cri de satisfaction au
père et un rugissement sourd d'admiration idolâtre à la Ramée.
--Tu es belle, très-belle, Henriette, dit M. d'Entragues; à la bonne heure,
ce corsage est galant, penche un peu la coiffure, cela donne aux yeux
plus de vivacité. Je te trouve pâle.
Henriette venait d'apercevoir la Ramée. Toute gaieté disparut de sa
physionomie. Elle adressa un long regard et un grave salut au jeune
homme, dont l'obsession avide mendiait ce salut et ce regard.
--Ta mère doit être prête, allons la chercher, dit M. d'Entragues qui, tout
en marchant, surveillait le jeu des plis et chaque détail de la toilette, à
ce point qu'il redressa sur l'épaule de sa fille les torsades d'une
aiguillette qui s'était embrouillée dans une aiguillette voisine.
Quant à la Ramée, il était oublié. Henriette marchait, inondée de soleil,
enivrée d'orgueil, respirant avec l'air embaumé des lis et des jasmins les
murmures d'admiration qui éclataient sur son passage dans les rangs
pressés des villageois et des serviteurs accourus pour jouir du spectacle.
M. d'Entragues quitta un moment sa fille pour aller s'informer de la
mère. La Ramée profita de ce moment pour s'approcher d'Henriette et
lui dire:
--Vous ne m'attendiez pas aujourd'hui, je crois?
Elle rougit. Le dépit et l'impatience plissèrent son front.
--Pourquoi vous eussé-je attendu? dit-elle.
--Peut-être eût-il été charitable de m'avertir. Je me fusse préparé, j'eusse
tâché de ne pas déparer votre cavalcade.
--Je n'ai pu croire qu'un ligueur convaincu comme vous l'êtes, se fût
décidé à venir à Saint-Denis aujourd'hui.
--Vous savez bien, dit la Ramée avec affectation, que pour vous,
Henriette, je me décide toujours à tout.
Ces mots furent soulignés avec tant de volonté, qu'ils redoublèrent la
pâleur d'Henriette.
--Silence, dit-elle, voici mon père et ma mère.
La Ramée recula lentement d'un pas.
On vit descendre alors, majestueuse comme une reine, éblouissante
comme un reliquaire, la noble dame d'Entragues, dont le costume
flottait entre les souvenirs de son cher printemps et les exigences de son
automne. Elle n'avait pu sacrifier tout à fait le vertugadin de 1573 aux
jupes moins incommodes, mais moins solennelles de 1593, et malgré
cette hésitation entre le jeune et le vieux, elle était encore assez belle
pour que sa fille, en la voyant, oubliât la Ramée, tout le monde, et
redevint une femme occupée de trouver le côté faible d'une toilette de
femme. M. d'Entragues enchanté put se croire un instant roi de France
par la grâce de cette divinité.
La dame châtelaine fut moins dédaigneuse qu'Henriette pour la Ramée.
Du plus loin qu'elle l'aperçut, elle lui sourit et l'appela.
--Qu'on amène les chevaux! dit-elle, tandis que je vais entretenir M. de
la Ramée.
Tout le monde s'empressa d'obéir, M. d'Entragues le premier, qui
dirigea lui-même les écuyers et les pages.
Marie Touchet resta seule avec la Ramée.
--Votre père, dit-elle, sa santé?
--Le médecin m'a prévenu, madame, qu'il ne passerait pas le mois.
--Oh! pauvre gentilhomme, dit Marie Touchet; mais si vous perdez
votre père, il vous restera des amis.
La Ramée s'inclina légèrement en regardant Henriette qui s'apprêtait à
monter à cheval.
--Quoi de nouveau sur le blessé? dit vivement Marie Touchet en
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.