tare! Quant à vos services, que vous me reprochez, c'est bien, gardez-les! A partir de ce moment, je n'en veux plus! Demeurez chez vous; je vous enverrai demain votre fils, le marquis de Coeuvres, qui pourtant est un honnête homme, et que j'aimais comme un frère, tant à cause de son mérite, que par amitié pour sa soeur. Restez tous ensemble, monsieur, vous, votre fils et votre gendre. Je suis né roi de Navarre sans vous, devenu roi de France sans vous ni les v?tres, et je saurai m'asseoir sur mon tr?ne en mon Louvre, sans votre service si mesquinement reproché.
--Sire! s'écria M. d'Estrées en se prosternant éperdu, car il voyait s'écrouler, ruinés à jamais, la fortune et l'avenir de sa maison, vous m'accablez!...
--?à! dit le roi, livrez-moi passage. C'est rompu entre nous, monsieur.
Le comte s'éloigna suffoqué par la honte et la douleur.
--Et entre nous? demanda plus bas Henri à Gabrielle.
--Loyal vous avez été sire, dit la pale jeune femme; loyale je serai. Vous avez tenu votre parole, et vous voilà catholique; je tiendrai la mienne, je suis v?tre; seulement, gardez votre bien.
--Oh! gardez-le-moi, vous! s'écria Henri avec les transports d'un amour passionné. Jurez-moi encore fidélité, en notre commun malheur! Si votre mari se retrouve, ne m'oubliez pas!
--Je me souviendrai que j'appartiens à un autre ma?tre. Mais abrégez mon supplice, sire!
--Soyez bénie pour cette parole.... Votre main.
Gabrielle tendit sa douce main, que le roi caressa d'un baiser respectueux.
--Je pars cette nuit même pour entreprendre contre Paris, dit le roi; avant peu vous aurez de mes nouvelles. Mais comment avez-vous pu me donner des v?tres, et par un de mes gardes encore?
--C'est l'un des deux jeunes gens logés au couvent, dit Gabrielle, deux coeurs généreux, deux amis pleins de courage et d'esprit.
--Ah! oui. L'un d'eux est ce blessé amené par Crillon, un beau gar?on dont j'aime tant la figure!
Gabrielle rougit. Espérance, debout, devant une touffe de sureaux, la regardait de loin, immobile et pale, un bras passé autour du col de Pontis.
Le roi se retourna pour suivre le regard de Gabrielle, et apercevant les jeunes gens:
--Je les remercierais moi-même, dit-il, si ce n'était vous trahir. Remerciez-les bien pour moi.
Et il fit un petit signe amical à Pontis dont le coeur tressaillit de joie.
--Sire, dit Gabrielle, autant par compassion pour son père que pour détourner l'attention du roi, dont un mot de plus sur Espérance l'e?t peut-être embarrassée, vous ne partirez point sans pardonner à mon pauvre père. Hélas! il a été dur pour moi, mais c'est un honnête et fidèle serviteur. Et mon frère! souffrirait-il aussi de mon malheur? Le priveriez-vous de servir son roi?
--Vous êtes une bonne ame, Gabrielle, dit Henri, et je ne suis point vindicatif. Je pardonnerai à votre père d'autant plus volontiers que le mari est plus ridicule. Mais je veux qu'il vous doive mon pardon, et que ce pardon nous profite. Laissons-lui croire jusqu'à nouvel ordre que j'ai conservé mon ressentiment. D'ailleurs, j'en ai, du ressentiment. Le coup vibre encore dans mon coeur.
--Ce sera vous honorer aussi, continua la jeune femme, que de ne point faire de mal à ce pauvre disgracié, mon mari. Continuez à le retenir loin de moi sans qu'il souffre autrement, n'est-ce pas?...
--Mais ce n'est pas de mon fait qu'il est absent! s'écria le roi, j'ai cru que vous lui aviez joué ce tour.
--Vraiment? dit Gabrielle, j'en suis innocente; que lui est-il donc arrivé alors?
Elle fut interrompue par l'arrivée de frère Robert qui, pour venir à la rencontre du roi, avait laissé quelques personnes qu'on apercevait de loin sous le grand vestibule du couvent.
--Il est bien triste, dit le roi, d'être forcé de partir à jeun lorsqu'on venait d?ner chez des amis.
--Le révérend prieur, répliqua frère Robert, a préparé une collation pour Votre Majesté. Ai-je eu raison de la faire servir sous le bel ombrage de la fontaine?
--Ah, oui! s'écria Henri, en plein air, sous le ciel! On se voit mieux, les yeux sont plus sincères, les coeurs plus légers. Vous me ferez les honneurs de cette collation, n'est-ce pas, madame, ce sera votre premier acte de liberté.
--Permettez, sire, ajouta Gabrielle, que j'aille un peu consoler mon père.
--Bien peu!... revenez vite, car mes instants sont comptés.
Gabrielle partit. On vit des religieux dresser une table sous le berceau, d'où Espérance et Pontis s'était discrètement éloignés à leur approche.
Le roi s'avan?a vers le moine et le regarda d'un air d'affectueux reproche.
--Voilà donc, murmura-t-il en désignant du doigt Gabrielle, comment l'on m'aime et l'on me sert en cette maison! J'avais un trésor précieux, on le livre à autrui! oh! frère Robert, j'ai décidément ici des ennemis!
--Sire, répliqua le moine, voici ce que répondrait notre prieur à Votre Majesté:--C'est un crime odieux d'enlever une jeune fille à son père. C'est seulement un péché d'enlever sa femme à un mari; et lorsque la femme à été mariée
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