La belle Gabrielle, vol. 2 | Page 7

Auguste Maquet
de ce moment, ne détourna plus les yeux de la fontaine.
Elle y était encore, pensive et larmoyante, pareille à la fille de Jephté, quand un bruit de voix dans l'allée principale changea tout à coup l'attitude des jeunes gens sous le berceau. Ils se levèrent avec des marques de surprise et de respect qui furent aper?ues de Gabrielle; et au même moment Gratienne accourut en s'écriant;
--Le roi!
Gabrielle vit dans le parterre M. d'Estrées qui s'avan?ait lentement; le roi venait à sa suite, et derrière eux, quelques religieux et les serviteurs de Henri formaient un groupe, discrètement écarté d'environ trente pas.
La jeune fille, oubliant tout, se précipita par les degrés, et vint, folle d'émotion, jusqu'à la séparation des deux jardins. Là, elle tomba agenouillée aux pieds d'Henri, en s'écriant avec un torrent de larmes:
--Oh! mon cher sire!...
Le roi si tendre et si affligé ne put tenir à un pareil spectacle, il releva Gabrielle en larmoyant lui-même et murmura:
--C'en est donc fait!
Qu'on se figure l'attitude de M. d'Estrées pendant ces lamentations. Il en mordait de rage ses gants et son chapeau.
--Mademoiselle, dit le roi, voilà donc pourquoi vous n'êtes pas venue à Saint-Denis aujourd'hui, joindre vos prières à celles de tous mes amis!
--Mon coeur a dit ces prières, sire, répliqua Gabrielle, et nul en votre royaume ne les a prononcées plus sincères pour votre bonheur.
--Pendant que vous étiez malheureuse! car vous l'êtes, n'est-ce pas, du mariage que l'on vous a fait faire.
--J'ai d? obéir à mon père, sire, répliqua Gabrielle en redoublant de soupirs et de larmes.
--Un roi, reprit Henri d'un air courroucé, ne violente pas les pères de famille dans l'exercice de leurs droits. Mais quand les femmes sont malheureuses et qu'elles se viennent plaindre à lui, le roi est ma?tre d'y porter remède. Adressez-moi vos plaintes, mademoiselle. Hélas! je dois dire madame... mais telle a été l'incivilité de cette maison que j'ignore jusqu'au nom de votre mari.
M. d'Estrées crut devoir intervenir.
--C'est un loyal gentilhomme, serviteur dévoué de sa Majesté. D'ailleurs, je crois pouvoir hasarder que vous le connaissez maintenant, sire.
--Je ne vous comprends pas, monsieur, dit le roi avec hauteur.
--Mon père veut dire que M. de Liancourt a disparu depuis le mariage, s'écria Gabrielle, dont l'excellent coeur voulait à la fois rassurer l'amant et protéger le père.
--Disparu! dit le roi charmé.
--Et monsieur d'Estrées, ajouta Gabrielle avec un malicieux sourire, semble supposer que Votre Majesté pourrait en savoir quelque chose.
--Qu'est-ce à dire? demanda Henri.
Le roi sait toujours tout, dit M. d'Estrées, fort gêné.
--Quand je sais les choses, monsieur, je ne les demande pas. A présent, grace à madame, je sais que son mari s'appelle Liancourt, qui est, si je ne me trompe, une maison picarde.
--Oui, sire, dit M. d'Estrées.
--Mais le seul Liancourt que je connaisse est bossu.
--Précisément, s'écria Gabrielle.
--Je m'en attriste, dit Henri, cachant mal sa mauvaise humeur; mais ce dont je me réjouis, c'est qu'il ait eu le bon go?t de dispara?tre pour ne point gater, papillon difforme, une si fra?che et si noble fleur.
M. d'Estrées grin?ant des dents:
--J'oserais pourtant, dit-il, supplier Votre Majesté de donner des ordres pour que monsieur de Liancourt soit retrouvé. Une pareille disparition, si elle vient d'un crime, intéresse le roi, puisque la victime est un de ses sujets; si elle n'est que le résultat d'une plaisanterie, comme cela peut être, la plaisanterie trouble et afflige toute une famille; elle porte atteinte à la considération d'une jeune femme. C'est donc encore au roi de la faire cesser.
--Ah, par exemple! s'écria Henri, vous me la baillez belle, monsieur. Que je m'inquiète, moi, des maris perdus, des bossus égarés!... Dieu m'est témoin qu'en un jour de bataille je cherche moi-même, bien bas courbé, bien palpitant, mes pauvres sujets, couchés blessés ou morts sur la plaine. Et je ne m'y épargne pas plus que le moindre valet d'armée. Mais, quand vous avez marié votre fille sans dire gare, me forcer à fouiller le pays pour retrouver votre gendre, moi qui suis enchanté de le savoir à tous les diables, ventre-saint-gris, vous me prenez pour un roi de paille, monsieur d'Estrées. Si je savais où est votre favori, je ne vous le dirais pas; ainsi, allumez toutes vos chandelles, bonhomme, et cherchez!
Gabrielle et Gratienne, entra?nées par cette verve irrésistible, ne purent s'empêcher, l'une de sourire, l'autre de rire immodérément. M. d'Estrées, plus pale et plus furieux que jamais:
--Si c'est là, dit-il, une réponse digne de mes services, de ceux de mon fils et de notre infatigable dévouement, si c'est là ce que je dois rapporter à tous mes amis qui attendent dans ma maison, où je n'ose retourner de peur des railleries....
--Si l'on vous raille, monsieur, répliqua le roi d'un ton de ma?tre irrité par ces imprudentes paroles, vous n'aurez que ce que vous méritez, vous qui vous êtes défié du roi de France, d'un gentilhomme sans tache ni
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