La belle Gabrielle, vol. 2 | Page 5

Auguste Maquet
épouvanter une pauvre fille jusqu'à la forcer d'appeler au secours! En effet, le roi avait re?u la veille le message apporté par Pontis et répondu sur-le-champ par le même courrier, qu'il arriverait le lendemain après son abjuration, que Gabrielle pouvait bien tenir ferme, jusque-là et qu'on verrait.
Pontis, selon le calcul du roi, avait d? revenir au couvent dans l'après-d?ner. Gabrielle, forte du secours promis, aurait résisté, ne se serait pas mariée. Rien n'était perdu, et l'arrivée d'Henri allait changer la face des choses, sans compter l'appui secret du mystérieux ami le frère parleur.
Telles étaient les chimères dont le pauvre amant se repaissait en poussant son cheval vers Bezons. Certainement l'absence de M. d'Estrées à la cérémonie de Saint-Denis, celle plus douloureuse de Gabrielle, que les yeux du roi avait partout cherchée, n'étaient point des indices rassurants; mais comme tout peut s'expliquer, le roi s'expliquait facilement la conduite d'un père rigoureux qui ne veut pas rapprocher sa fille de l'amant qu'il redoute pour elle. Ces différentes alternatives de tant mieux et de tant pis conduisirent Henri jusqu'au couvent dans une situation d'esprit assez tranquille.
Comme il arrivait sous le porche, la première personne à laquelle il se heurta fut M. d'Estrées lui-même, qui pour la dixième fois, depuis la veille, sortait pour aller s'enquérir de son gendre disparu. Le comte fut si troublé par l'aspect du roi, qu'il demeura béant, immobile, sans un mot de compliments, lorsque tout le monde s'empressait de saluer et féliciter le prince.
Henri sauta à bas de son cheval avec la légèreté d'un jeune homme, et de son air affable, tempéré par un secret déplaisir, il aborda le comte d'Estrées.
--Comment se fait-il, monsieur notre ami, dit-il, en lui touchant familièrement l'épaule, que seul de tous mes serviteurs et alliés, vous ayez manqué aujourd'hui au rendez-vous que je donnais ce matin à tout bon sujet du roi de France?
Le comte, pale et glacé, ne trouva point une parole. Il voulait répondre sans colère et la rancune bouillonnait au fond de son coeur.
--Que vous ayez perdu ce beau spectacle, ajouta le roi, c'est d'un ami tiède; mais que vous en ayez privé Mlle d'Estrées, ce n'est pas d'un bon père.
--Sire, dit le comte avec effort, j'aime mieux vous dire la vérité. Mon absence avait une cause légitime.
-Ah! laquelle? je serais curieux de vous l'entendre articuler tout haut, répondit le roi pour forcer le comte à quelque maladresse.
--J'étais inquiet de mon gendre, sire, et je le cherchais.
--Votre gendre! s'écria Henri avec un soupir ironique, voilà un mot bien pressé de passer par vos lèvres. Gendre s'appelle celui qui a épousé notre fille. Or, ajouta-t-il en riant tout à fait, la v?tre n'est pas encore mariée, je suppose?
Le comte répondit en rassemblant toutes ses forces:
--Je vous demande pardon, sire, Mlle d'Estrées est mariée depuis hier.
Le roi palit en ne voyant aucune dénégation sur le visage des assistants.
--Mariée hier!... murmura-t-il le coeur brisé.
--à midi précis, répliqua froidement le comte.
Aussit?t le roi entra dans la salle, d'où tout le monde, sur un geste qu'il fit, s'écarta respectueusement.
--Approchez, monsieur d'Estrées, dit-il au comte avec une solennité qui fit perdre, à ce dernier, le peu d'assurance qu'il avait eu tant de peine à conserver.
Henri fit quelques pas dans la salle, et en proie à une agitation effrayante pour l'interlocuteur, si au lieu de s'appeler Henri, le roi se f?t appelé Charles IX ou même Henri III, il s'arrêta tout à coup en face du comte.
--Ainsi, Mlle d'Estrées est mariée, dit-il d'une voix brève, et c'est à n'y plus revenir.
M. d'Estrées s'inclina sans répondre.
--Le procédé est étrangement sauvage, dit le roi, et je n'y croirais point si vos yeux incertains et votre voix tremblante ne me l'eussent à deux fois répété. Vous êtes un méchant homme, monsieur.
--Sire, j'ai voulu garder mon honneur.
--Et vous avez touché à celui du roi! s'écria Henri. De quel droit? monsieur.
--Mais, sire... Il me semble qu'en disposant de ma fille je n'offense pas Sa Majesté.
--Vrai Dieu! dit Henri sans donner dans le piège, allez-vous jouer aux fins avec moi, par hasard? Quoi, je vous ai fait l'honneur de vous visiter chez vous, de vous nommer mon ami, et vous mariez votre fille sans même m'en donner avis! Depuis quand, en France, n'est-on plus honoré d'inviter le roi à ses noces?
--Sire....
--Vous êtes un méchant homme ou un rustre, monsieur, choisissez.
--L'irritation même de Votre Majesté me prouve....
--Que vous prouve-t-elle, sinon que j'ai été délicat lorsque vous étiez grossier, patient quand vous étiez féroce, observateur des lois de mon royaume, quand vous violiez toutes les lois de la politesse et de l'humanité. Ah! vous aviez peur que je ne vous prisse votre fille! Ce sont des terreurs de croquant, mais non des scrupules de gentilhomme. Que ne me disiez-vous franchement: Sire, veuillez me conserver ma fille. Croyez-vous que je vous eusse passé sur le corps pour
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