La belle Gabrielle, vol. 1 | Page 8

Auguste Maquet
quarts plumée.
Espérance, comme tout le monde, fut frappé de l'altération empreinte
sur les traits du nouveau venu, dont le visage jeune et caractérisé
s'était contracté jusqu'à la laideur. Ses cheveux, plutôt roux que blonds,
se hérissaient. Un frisson de fureur courait sur ses lèvres minces et
pâles.
C'était un homme de vingt-deux ans à peine, svelte et grand. Ses formes

fines et nerveuses annonçaient une nature distinguée, rompue aux
violents exercices. Dans son pourpoint vert, de forme un peu surannée,
d'étoffe quasi grossière, il conservait des façons nobles et délibérées.
Mais le couteau, trop long pour la table; trop court pour la chasse, qui
brillait sans gaine dans sa main tremblante, révélait une de ces
indomptables fureurs qui veulent s'éteindre dans le sang.
Ce jeune homme avait gravi si rapidement la colline qu'il faillit
suffoquer et put à peine articuler ces mots: "Où sont les chefs!"
Un garde, qui essaya d'arrêter le furieux en lui opposant le rempart
d'une pique, fut presque renversé.
Un enseigne, accouru au bruit, s'interposa en voyant bousculer son
factionnaire.
--Plaisantez-vous, maître, s'écria-t-il, d'entrer ainsi le couteau à la
main chez les gardes de Sa Majesté?
--Les chefs! cria encore le jeune homme d'une voix sinistre.
--J'en suis un! dit l'enseigne.
--Vous n'êtes pas celui qu'il me faut, répliqua l'autre avec une sorte de
dédain sauvage.
Et comme une exclamation générale couvrait ses paroles, comme,
excepté Pontis et ses convives, chacun menaçait l'insulteur.
--Oh! vous ne me ferez pas peur, dit-il d'un accent de rage concentrée,
je cherche un chef, un grand, un puissant, qui ait le pouvoir de punir.
Rosny et le capitaine s'étaient approchés lentement pour savoir la
cause de ce tumulte.
Le jeune homme les aperçut.
--Voilà ce qu'il me faut, murmura-t-il avec un fauve sourire.

--Qu'y a-t-il? demanda Rosny, devant qui s'ouvrirent les rangs.
Et il attacha son regard pénétrant sur ce visage décomposé par toutes
les mauvaises passions de l'humanité.
--Il y a, monsieur, répondit le jeune homme, que je viens ici demander
vengeance.
--Commencez par jeter votre couteau! dit Rosny. Allons, jetez-le!
Deux gardes saisissant brusquement les poignets de cet homme, le
désarmèrent. Il ne sourcilla point.
--Vengeance pour qui? continua Rosny.
--Pour moi et les miens.
--Qui êtes-vous?
--Je m'appelle la Ramée, gentilhomme.
--Contre qui demandez-vous cette vengeance?
--Contre vos soldats.
--Je n'ai point ici de soldats, dit M. de Rosny, blessé du ton hautain
d'un pareil personnage.
--Alors, ce n'est point à vous que j'ai affaire. Indiquez-moi le chef de
ceux-ci.
Il désignait les gardes frémissant de colère.
--Monsieur de la Ramée, reprit froidement Rosny, vous parlez trop haut,
et si vous êtes gentilhomme, comme vous dites, vous êtes un
gentilhomme mal élevé; ceux-ci sont des gens qui vous valent, et que je
vous engage à traiter plus courtoisement. Je vous eusse déjà laissé
vous en expliquer avec eux, si vous ne paraissiez venir ici pour faire
des réclamations. Or, en l'absence de M. de Crillon, j'y commande, ici,

et je suis disposé à vous faire justice malgré vos façons. Ainsi, du
calme, de la politesse, de la clarté dans vos récits, et abrégeons!
Le jeune homme mordit ses lèvres, fronça les sourcils, crispa les poings,
mais subjugué par le sang-froid et la vigueur de Rosny, dont pas un
muscle n'avait tressailli, dont le coup d'oeil incisif l'avait blessé comme
une pointe d'épée, il respira, recueillit ses idées et dit:
--A la bonne heure! J'habite avec ma famille le château que vous
apercevez au bas de la colline, dans ces arbres à droite. Mon père est
au lit, blessé.
--Blessé? interrompit Rosny. Est-ce un soldat du roi?
Le jeune homme rougit à cette question.
--Non, dit-il d'un air embarrassé.
--Ligueur, va! murmurèrent les gardes.
--Continuez, interrompit Rosny.
--J'étais donc près du lit de mon père avec mes soeurs, quand un bruit
de lutte nous vint troubler. Des étrangers étaient entrés de force dans
la maison, avaient frappé et blessé mes gens, et pillé de vive force.
--Silence! dit Rosny à des voix qui réclamaient autour de lui.
--Ces étrangers, poursuivit la Ramée, non contents de leurs violences,
ont pris des tisons au foyer, ils les ont lancés sur la grange, qui brûle
en ce moment, regardez!
En effet, tous se retournant, virent s'élever des tourbillons de fumée
blanche qui s'élançaient en larges et ondoyantes spirales par-dessus les
arbres du parc.
Pontis et ses compagnons pâlirent. Un silence effrayant s'étendit sur
l'assemblée.

--En effet, dit M. de Rosny avec une émotion qu'il ne put maîtriser,
voici un incendie ... il faudrait s'y transporter.
--Quand on arrivera, tout sera fini; la paille brûle vite. Tenez, voici
déjà les toits qui flambent.
Le jeune homme, après ces paroles, s'arrêta satisfait de l'effet qu'elles
avaient produit.
--Et, demanda Rosny, votre famille vous envoie ici pour obtenir
justice?
--Oui, monsieur.
--Les coupables sont donc ici?
--Ce
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