La belle Gabrielle, vol. 1 | Page 7

Auguste Maquet
le jeune homme avec son
enjouement plein de grâce.
Rosny et le capitaine se levèrent.
--Espérance! dit Rosny à l'oreille de son compagnon! le beau nom pour
les aventures!
Et tous deux descendirent vers le rivage pour aider à la digestion par
la promenade.
Espérance attacha son cheval à un arbre, plia son manteau proprement
et s'assit dessus, les jambes pendantes, en se tournant avec l'intelligent
instinct des rêveurs ou des amoureux vers le plus poétique côté du
panorama.
Un quart d'heure était à peine écoulé lorsqu'il entendit une explosion
de rires joyeux à l'extrémité de la circonvallation. C'étaient les gardes
qui se pressaient en tumulte autour des trois pourvoyeurs que nous
avons vus partir pour la provision.
Pontis élevait en l'air sur ses deux mains un plat de terre d'une
honorable dimension. Il tenait sous son bras, par un miracle
d'équilibre, un pain de plusieurs livres; deux canards et des pigeons
étranglés pendaient en sautoir à son col.
Vernetel avait pour trophée un long et gras lapin de clapier, un pain
rond et un faisceau de boudins et de saucisses. Castillon ne portait
qu'une dame-jeanne; mais elle suffisait à la vigueur d'un seul homme.
La joie générale se changea en admiration, quand, Pontis abaissant
son plat à la hauteur du vulgaire, on découvrit qu'il contenait un pâté
de hachis, bouillant encore dans un jus solide et généreux.

L'escouade s'attroupa, se groupa; les uns eurent les canards et le lapin
qu'ils se mirent à préparer; les autres, plus heureux, s'attablèrent
immédiatement, c'est-à-dire qu'on fit sur l'herbe une belle place nette,
qu'on en marqua le centre avec ce noble pâté, et que douze convives
invités par le magnanime Pontis, reçurent la permission d'étaler sur
des tranches de pain homériques une couche odorante de hachis.
Espérance regardait de loin, en souriant, ce festin et ces intrépides
mangeurs; il admirait aussi le roi de la fête, Pontis, dont la
physionomie radieuse éclairait joyeusement tout le groupe, lorsque
soudain on entendit comme un cri lointain. Ce cri fit dresser l'oreille à
Espérance et l'étonna. Mais les convives l'entendirent à peine, éperdus
qu'ils étaient de faim et de bonheur.
--Tiens, on crie, dit Vernetel la bouche pleine.
--Oui, répliqua Pontis, ils se seront aperçus au château de la
disparition de leur dîner.
--Racontez-nous donc, Pontis, comment vous avez fait cette rafle? dit
un des gardes en plumant les volailles.
--Cela me ferait perdre bien des bouchées, dit le jeune Dauphinois. En
deux mots, le voici: Nous avons poliment montré notre nez à la porte et
demandé à présenter nos hommages au maître de la maison. Un bourru
de concierge entr'ouvrant la grille, nous a dit qu'il n'y avait personne.
Nous avons insisté, nous déclarant gentilshommes et gardes de Sa
Majesté. Le butor a répliqué qu'il n'y avait ni Majesté, ni gardes en
France, et qu'il n'y avait qu'une trêve.
--Des ligueurs! des Espagnols! s'écrièrent tous les convives.
--C'est ce que nous nous sommes dit tout de suite, ajouta Pontis qui
profita de l'indignation générale pour remplir à la fois sa bouche et sa
tartine. Alors j'ai passé ma jambe entre les portes de la grille, ce qui a
empêché le ligueur de la fermer; puis, je suis entré; ces deux messieurs
m'ont suivi. Il y avait dans la cuisine des parfums à faire évanouir saint
Antoine. Puisqu'il n'y a personne au château, ai-je dit, voilà un dîner

qui sera perdu. Aussitôt j'ai allongé les mains vers ces volailles que
venait d'apporter la fermière. Le concierge a crié, deux valets sont
accourus, de là des broches et des lardoires. Nous autres
gentilshommes, nous n'avons pas tiré l'épée, non, mais j'ai avisé dans
l'âtre des tisons ardents sur lesquels je me suis jeté et que j'ai lancés
sur cette canaille. Éblouis par une pluie de feu, ils ont battu en retraite.
Alors j'ai saisi le plat que voici, jeté à mon cou ce Saint-Esprit de ma
façon. Vernetel et Castillon n'osaient seulement bouger tant
l'admiration les paralysait; j'ai indiqué à l'un cette amphore, à l'autre
ce lapin, nous avons fait retraite en triangle sans être inquiétés, et nous
voici.
Pontis fut congratulé par un tonnerre d'applaudissements auxquels
Espérance, toujours assis à la même place, mêla ses plus francs éclats
de rire.
Tout à coup les cris devinrent plus vifs et se rapprochèrent. Sans doute
ils avaient été interceptés pendant quelques secondes par la convexité
du monticule. Ces cris étaient poussés par un homme qu'on vit
apparaître brusquement à l'entrée du quartier des gardes.
Essoufflé, gesticulant avec énergie, les yeux troublés par la colère, il
attira d'abord l'attention de tous les spectateurs.
--C'est quelqu'un du château que nous avons dîmé, murmura Vernetel à
l'oreille de Pontis.
Celui-ci interrompit son repas. Les autres gardes s'interrompirent
également dans leurs préparations culinaires. On en vit cacher
derrière leur manteau la volaille aux trois
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