La belle Gabrielle, vol. 1 | Page 5

Auguste Maquet
convives, mais sardanapalesque en égard à la détresse des gardes qui y assistaient de loin.
Pontis n'en put supporter longtemps la vue.
--Quand je vous disais qu'il d?nerait encore aujourd'hui! Sambioux; s'écria-t-il, que la paix est une sotte chose pour les gens qui n'ont pas de ma?tre d'h?tel! En guerre, au moins, l'on chasse et l'on pille; si l'on ne mange que de deux jours l'un, au moins, ce jour venu, fait-on bombance pour deux jours!
--Il y a des vivres aux environs, dit un huguenot qui léchait une cro?te bien sèche frottée d'ail; que n'en achetez-vous?
--Que n'en achetez-vous vous-même, répliqua Pontis exaspéré, au lieu de grignoter vos cro?tes comme un rat maigre?
--Mieux vaut une cro?te que pas de cro?te, répliqua le huguenot. Ne faites pas tant d'embarras, mon jeune monsieur, et si vous n'avez pas d'argent, serrez-vous le ventre!
--Est-ce qu'on a de l'argent, s'écria Pontis. En avez-vous, Castillon? en avez-vous, Vernetel? en avez-vous les uns ou les autres?
Tous, par un mouvement spontané comme à l'exercice, mirent la main à des poches qui rendirent un son mat et plat.
--Pourquoi aurions-nous de l'argent, dit Vernetel? le roi n'en a pas.
--Mais le roi mange.
--Quand on l'invite à d?ner. Faites-vous inviter par M. de Rosny.
--Ou priez-le de vous laisser ses miettes.
--Sambioux! j'aimerais mieux ... Ah! messieurs, une idée. Qui a faim ici?
--Moi, répondit un choeur imposant.
--Partons quatre et allons nous faire inviter dans le voisinage; nous sommes gens de bonne mine.
--Eh! eh! grommela le huguenot en détaillant les habits rapés de ses camarades.
--Nous sommes bons gentilshommes, poursuivit Pontis ... et gardes du roi....
--D'un roi contesté, c'est incontestable.
--Il est impossible que nous ne trouvions pas dans les environs un ami, une connaissance, un cousin, un proche plus ou moins éloigné. Voyons, varions les nationalités pour nous donner plus de chances de trouver des compatriotes: De quel pays est Vernetel?
--Tourangeau.
--Je vous prends. Et Castillon?
--Poitevin.
--Prenons Castillon. Moi je suis Dauphinois; il nous faudrait un Gascon. L'arbre généalogique d'un Gascon pousse des racines aux quatre coins du monde.
--Quel dommage que le roi ne soit pas là, dit Vernetel, nous l'emmènerions; c'est lui qui a des cousins et des cousines, bon Dieu!...
Et chacun de rire. Henri IV e?t bien ri lui-même s'il e?t entendu ces jeunes fous.
--Ainsi, continua Pontis, c'est convenu, nous allons demander à d?ner sans fa?on dans la première gentilhommière que nous trouverons. Regardez les jolies maisons qui montrent leur tête blanche parmi les arbres. à gauche, là-bas, ce chateau avec pelouses. Mais il faudrait passer l'eau, et c'est trop loin. A droite... Ah!... voyez à droite, au milieu de ce jeune parc, le charmant donjon bati de briques et de pierre neuve. Voilà notre affaire ... un petit quart de lieue à peine ... partons!... Que j'ai faim!
Pontis serra la boucle de sa ceinture avec une facilité déplorable.
--Partons, répéta-t-il, sinon j'arriverai squelette.
--Mais il faut la permission, dit Vernetel; demandons-la au capitaine.
--Ne faites pas cela! s'écria Pontis.
--Pourquoi?
--Parce que s'il refusait, nous serions forcés de mourir de faim, et que je ne le veux pas. Il y a plus s'il refusait, je ne pourrais m'empêcher de passer outre, et alors ce sont des désagréments à n'en plus finir.
--Oui, on est pendu, par exemple.
--Non pas, parce qu'on est gentilhomme, mais arquebusé, ce qui n'est pas moins désagréable.
--Bah! répliqua Pontis avec la résolution de son age; tandis que nous allons chercher ce repas indispensable, nos camarades feront le guet; on leur rapportera quelques reliefs pour leur peine. Si le capitaine demande où nous sommes, on lui répondra que nous avons aper?u un levraut se remettre dans la vigne, et que nous y allons faire un tour.
--Et s'il y avait une prise d'armes pendant votre absence? dit Vernotel.
--Bon! en trêve?
--Le roi doit venir ... remarquez que son porte-poulets est ici, c'est signe qu'on attend Sa Majesté. Et puis M. de Crillon peut arriver.
--Notre mestre de camp est sans fa?ons avec ses gardes. S'il vient, il dira, selon son habitude, en faisant signe de la main: là, là, assez tambour, et on rompra les rangs sans que nous ayons été appelés. D'ailleurs, j'ai faim, et si le roi était ici, je le lui dirais à lui-même: Sambioux! partons!
Vernetel et Castillon commencèrent à allonger le pas, entra?nés par la fougue de leur camarade. Mais Pontis leur fit observer qu'en courant ils seraient remarqués, rappelés, peut-être, qu'il fallait, au contraire, s'éloigner lentement, en se dandinant, en regardant le ciel et l'eau; puis, à un détour du chemin, prendre ses jambes à son cou, et faire le quart de lieue en cinq minutes.
Tous trois se mirent en marche, secondés par les camarades, qui, se levant et s'interposant entre la table des officiers et les fugitifs dérobèrent ainsi leur départ à tous les yeux. Mais soudain, derrière une haie, parut un cavalier qui leur barra le passage.

II
D'UN LAPIN, DE DEUX CANARDS, ET DE CE QU'ILS PEUVENT CO?TER DANS
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