bon dans la vie n'est pas catholique romain. Voilà pourquoi je voudrais que Sa Majesté entrat dans une religion nourrissante. Ah! vous avez beau murmurer, vous ne ferez jamais autant de bruit que mon estomac.
--Si le roi se convertit à la messe, s'écria un huguenot, je quitte son service.
--Et moi, répliqua Pontis, je le quitte s'il ne se convertit pas....
--Ventre du pape! s'écria le huguenot en se levant à moitié.
--Tiens, vous avez encore la force de vous mettre en colère? Eh bien, moi, je garde mon souffle pour une meilleure occasion. Huguenots ou catholiques devraient, au lieu de se quereller, aviser au moyen de vivre.
--Quelle idée a-t-il eu, le roi, poursuivit le huguenot grondeur, d'accorder une trêve à ce gros Mayenne? Nous serions en ce moment sous Paris; mais non ... au lieu d'exterminer la ligue, on la ménage. Tout cela finira par des embrassades.
--Pourquoi ne pas commencer tout de suite? s'écria Pontis, au moins nous serions de la fête, tandis que si l'on tarde nous serons tous morts. Sambioux! que j'ai faim.
Un nouvel interlocuteur s'approcha du groupe, c'était un jeune garde nommé Vernetel.
--Messieurs, dit-il, je fais une réflexion: puisqu'il y a une trêve, pourquoi ne sommes-nous pas à Mantes avec la cour? on y mange, a Mantes.
--Quelquefois, grommela le huguenot.
--Au fait, dit Pontis, l'idée de Vernetel est bonne; pourquoi sommes-nous ici où l'on ne fait rien, et non à Mantes où est le roi?
--Parce que le roi n'est pas à Mantes, dit Vernetel. Tenez, en voici la preuve.
Et il montra aux gardes un petit homme qui passait tout affairé, portant un paquet recouvert d'une enveloppe de serge, comme s'il e?t été tailleur d'habits ou pourvoyeur de la garde-robe.
--Quel est celui-là, demanda Pontis, et pourquoi vous fait-il croire que le roi n'est pas à Mantes?
--On voit bien que vous êtes nouveau chez nous, répliqua le huguenot, vous ne connaissez pas ma?tre Fouquet la Varenne.
--Qui cela, la Varenne? demanda Pontis.
--Celui qui est partout où doit venir mystérieusement le roi, celui qui lui ouvre les portes trop bien fermées, celui qui re?oit les étrivières que mériterait souvent Sa Majesté, enfin celui qui porte les poulets du roi?
--Eh! l'honnête homme! cria le jeune cadet, servez-en un par ici!... Nous sommes plus pressés que le roi.
--Voilà d'indécentes plaisanteries, jeunes gens, interrompit une voix male et sévère qui fit retourner les gardes.
--M. de Rosny! murmura Pontis.
--Oui, monsieur, répliqua gravement l'illustre huguenot qui traversait la clairière en lisant une liasse de papiers.
--Monsieur a l'oreille fine, ne put s'empêcher de dire Pontis; nous n'avons pourtant pas la force de parler bien haut.
--Encore mieux vaudrait-il vous taire, répartit Rosny tout en marchant.
--Nous ne demandons pas mieux, monsieur; mais fermez-nous la bouche.
Et le cadet compléta sa phrase par une pantomime à l'usage de toutes les nations qui ont faim.
Rosny haussa les épaules et passa outre.
--Vieux ladre, grommela Pontis; il a d?né hier, lui, et il est capable de d?ner encore aujourd'hui!
--Comment, vieux, dit le huguenot; savez-vous l'age de M. de Rosny?
--Sept cents ans au moins.
--Trente-trois à peine, monsieur le catholique, sept ans de moins que le roi.
--C'est singulier, répondit Pontis, depuis vingt ans que j'existe, j'ai toujours entendu parler de M. de Rosny comme d'Abraham ou de Mathusalem. Croyez-moi, c'est un homme qui a commencé avec la création.
--C'est que voilà longtemps qu'il travaille à devenir célèbre, dit le huguenot; c'est une de nos colonnes, c'est la manne de nos esprits.
--Que ne l'est-il de nos estomacs! Moi, voyez-vous, je n'ai pas les mêmes raisons que vous d'adorer le grand Rosny. Vous êtes huguenot comme lui, moi catholique. Je suis entré aux gardes par amour pour notre mestre de camp Crillon, qui est catholique aussi. Vous n'osez rien demander à votre idole Rosny, vous, tandis que moi, M. de Crillon serait ici, au lieu d'être je ne sais où, j'irais lui emprunter un écu. Je ne suis pas fier, moi, quand j'ai faim. Sambioux que j'ai faim!
Comme il achevait ces mots entrecoupés de soupirs, un pas de cheval retentit sur la terre sèche, et l'on vit s'avancer, portant deux paniers, un gros bidet pansu, précédé du ma?tre d'h?tel de M. de Rosny, et suivi d'un paysan et d'un laquais.
Le cortège défila au milieu des cadets, qui dévoraient des yeux les paniers et la bête, et bient?t après, à l'ombre de ces beaux tilleuls dont nous avons parlé, une table se dressa, sur laquelle le ma?tre d'h?tel rangea certaines provisions d'une couleur et d'un parfum insultants pour les affamés.
M. de Rosny, toujours avec ses papiers et sa gravité, s'avan?a vers la table, s'y installa en compagnie du capitaine des gardes, du capitaine des canons et de quelques seigneurs privilégiés au nombre desquels on remarquait ce même Fouquet la Varenne porteur des poulets royaux.
A grand bruit de conversations et de vaisselle, ces messieurs commencèrent leur festin, frugal si l'on considère la qualité des
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