La belle Gabrielle, vol. 1 | Page 6

Auguste Maquet
LE VEXIN
C'était un beau jeune homme de vingt ans, fringant, découplé en Adonis, avec des cheveux blonds admirables, une fine moustache d'or et des dents brillantes comme ses yeux. Il montait un bon cheval rouan chargé d'une valise respectable. Son costume de fin drap gris bordé de vert, moitié bourgeois moitié militaire, annon?ait l'enfant de famille, un manteau neuf roulé sous le bras, une large épée espagnole bien pendue à son c?té complétaient l'ensemble, et tout cela, monture et harnais, habit et figure, bien que poudreux, supportait victorieusement l'éclat du grand jour et répondait aux rayons du soleil par une rayonnante mine que Phébus lui-même, ce Dieu de la beauté, e?t empruntée assurément, s'il f?t jamais venu à cheval, parcourir le Vexin fran?ais.
--Pardon, messieurs, dit le jeune cavalier en arrêtant les trois gardes au moment où ils allaient prendre leur volée: c'est ici le campement des gardes, n'est-ce pas?
--Oui, monsieur, dit Pontis, et il se disposa à reprendre son élan.
--Et M. de Crillon commande les gardes? continua le jeune homme.
--Oui, monsieur.
--Je vous demande encore pardon de vous arrêter, car vous semblez être pressé, mais veuillez m'indiquer la tente de M. de Crillon.
--M. de Crillon n'est pas au camp, dit Vernetel.
--Comment! pas au camp ... où donc alors le trouverai-je?
--Monsieur, nous avons bien l'honneur de vous saluer, dit Pontis avec volubilité en faisant signe à Vernetel.
Et comme Vernetel et Castillon se récriaient, Pontis les prit par la main et les emmena ou plut?t les emporta pour couper court à la conversation.
--Ne voyez-vous pas, leur dit-il, que si ce dialogue e?t duré, j'allais tomber d'inanition. Courons! le chemin descend, et mon corps roule tout seul vers le d?ner.
Le cavalier souriant regarda les trois enragés qui pirouettaient dans la pente rocailleuse, et sans avoir rien compris à leur précipitation, il s'achemina vers le campement des gardes.
Pontis avait bien tort d'envier à M. de Rosny son repas et son ma?tre d'h?tel. Ce repas était abreuvé d'amertume. M. de Rosny s'évertuait à demander sous toutes les formes à la Varenne comment et pourquoi il était venu seul à Médan, lui qui ne marchait jamais sans son ma?tre, et la Varenne, affectant les airs les plus mystérieux, répondait à ces questions avec une fausseté diplomatique dont Rosny enrageait, malgré toute sa philosophie.
Plus d'une fois il frappa sur la table dans sa colère, et, oubliant l'étiquette, fronda les légèretés et les caprices vagabonds de son roi. C'est à ce moment que les gardes amenèrent le jeune cavalier qui venait d'entrer dans le camp.
--Qui êtes-vous, et que voulez-vous, demanda M. de Rosny, qui pliait sa serviette avec méthode.
--Je voudrais parler à M. de Crillon, répliqua poliment le jeune homme.
--Qui êtes-vous? répéta Rosny. N'arrivez-vous pas de Rome?
--Monsieur, je voudrais parler M. de Crillon qui est mestre de camp des gardes fran?aises, continua du même ton le jeune homme dont la parfaite douceur ne s'altéra point au contact de cette curiosité.
--Libre à vous de ne vous point nommer, dit le flegmatique Rosny; c'est peut-être une affaire de service qui vous amène, auquel cas, ayant l'honneur de me trouver au même lieu que M. de Crillon pour les intérêts du roi, j'eusse pu vous écouter et vous satisfaire. Voilà pourquoi je vous questionnais, je suis Rosny.
Le jeune homme s'inclina.
--Ce qui m'amenait près M. de Crillon, c'est affaire particulière, dit-il, quant à mon nom, monsieur, je m'appelle Espérance, et j'ai l'honneur d'être votre serviteur, je n'arrive pas de Rome, mais de Normandie.
Rosny subit, malgré lui, le charme tout-puissant qui s'exhalait de ce jeune homme.
--A bonne mine, dit-il, voilà un beau nom.
--Qui n'est pas un nom, murmura le capitaine.
Rosny reprit:
--M. de Crillon n'est point céans, monsieur; il inspecte les autres compagnies de son régiment, qui est disséminé le long de la rivière; mais il doit revenir bient?t. Attendez.
--Espérez! ajouta le capitaine en souriant.
--C'est ce que je fais toute ma vie, répliqua le jeune homme avec son enjouement plein de grace.
Rosny et le capitaine se levèrent.
--Espérance! dit Rosny à l'oreille de son compagnon! le beau nom pour les aventures!
Et tous deux descendirent vers le rivage pour aider à la digestion par la promenade.
Espérance attacha son cheval à un arbre, plia son manteau proprement et s'assit dessus, les jambes pendantes, en se tournant avec l'intelligent instinct des rêveurs ou des amoureux vers le plus poétique c?té du panorama.
Un quart d'heure était à peine écoulé lorsqu'il entendit une explosion de rires joyeux à l'extrémité de la circonvallation. C'étaient les gardes qui se pressaient en tumulte autour des trois pourvoyeurs que nous avons vus partir pour la provision.
Pontis élevait en l'air sur ses deux mains un plat de terre d'une honorable dimension. Il tenait sous son bras, par un miracle d'équilibre, un pain de plusieurs livres; deux canards et des pigeons étranglés pendaient en sautoir à son col.
Vernetel avait pour trophée un long et gras lapin de
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